Parizeau pourfend le Plan Nord

L’ancien premier ministre du Québec Jacques Parizeau a reçu Le Devoir chez lui pour livrer ses premiers commentaires publics sur le Plan Nord.<br />
Photo : Jacques Nadeau —Le Devoir L’ancien premier ministre du Québec Jacques Parizeau a reçu Le Devoir chez lui pour livrer ses premiers commentaires publics sur le Plan Nord.


Alexandre Shields, Le Devoir

Le Plan Nord du gouvernement Charest ouvre toute grande la porte aux entreprises minières qui veulent réclamer une contribution financière substantielle de la part de l’État québécois pour faciliter le développement de projets d’exploitation privés. Une situation que déplore Jacques Parizeau, qui propose plutôt d’assujettir toute aide publique à un mécanisme de réciprocité qui obligerait les entreprises à céder à Québec une participation équivalente de leur actionnariat.

« Le Plan Nord offre toutes sortes de choses, explique l’ancien premier ministre, en entrevue au Devoir. D’abord, ce ne sont pas les compagnies qui vont se payer leur approvisionnement en électricité, ce sera Hydro-Québec. Il y a aussi des projets de ports en eaux profondes. Sans oublier la route de 250 kilomètres pour rejoindre le projet de mine de diamants de Stornoway Diamond Corporation, au coût de 330 millions de dollars. Québec paiera 288 millions de la facture. Pourquoi on construit cette route? Le gouvernement s’est dit qu’il y aurait peut-être d’autres projets miniers dans le secteur. Je ne vous dirai pas que ça fait “bar ouvert”, mais les compagnies qui ont des projets dans le Nord ont compris immédiatement ce qu’elles pouvaient en tirer. Le Plan Nord laisse plusieurs portes ouvertes. »

« Le moment crucial dans toute cette histoire du développement minier, c’est lorsqu’on a décidé de revenir sur le principe qui veut qu’une mine qui s’installe dans le nord doit tout payer. Quand on a renoncé à ce principe, on a ouvert la porte à n’importe quoi. On s’est retrouvés à faire du trapèze sans filet. Il n’y a pas de limite aux bonnes choses, mais aussi aux folies qu’on pourrait faire », insiste-t-il à l’occasion de sa première sortie publique sur le Plan Nord. « On est sur le point de se faire avoir. »

Il est vrai que le gouvernement de Jean Charest compte investir plusieurs milliards de dollars de deniers publics dans son « chantier d’une génération ». Au total, sur 25 ans, on prévoit pas moins de 80 milliards de dollars d’investissements « privés et publics ». De cette somme, 47 milliards seront consacrés au développement d’« énergie renouvelable », surtout des projets d’Hydro-Québec. Une autre tranche de 33 milliards servira au déploiement de l’industrie minière et des infrastructures — routes, ports, aéroports, électricité — sur un territoire de 1,2 million de kilomètres carrés.

Uniquement d’ici 2016, Québec prévoit injecter 1,2 milliard de dollars pour développer des infrastructures qui serviront d’abord aux entreprises qui souhaitent exploiter les ressources non renouvelables du Québec au bénéfice de leurs actionnaires. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir les minières — dont une majorité sont détenues par des intérêts étrangers — s’activer pour avoir leur part du pactole. Une centaine de lobbyistes sont d’ailleurs inscrits au registre québécois.

Selon M. Parizeau, le projet d’Oceanic Iron Ore, situé à l’extrême nord du Québec, est révélateur de la pente glissante sur laquelle le Plan Nord entraîne le Québec. « L’entreprise souhaite extraire du minerai de fer près de la baie d’Ungava. Récemment, le président de l’entreprise a annoncé qu’il s’était entendu avec la société de promotion du développement socioéconomique Makivik pour faire des représentations auprès du gouvernement du Québec de façon à brancher la mine sur un réseau d’Hydro-Québec, avec les coûts que cela suppose. Et ce qu’on sait, c’est que ces entreprises ne s’engagent pas à moins d’avoir des ententes à long terme, quelque chose comme 25 ans. Et ce sont des contrats qu’on ne peut plus rouvrir par la suite. »

Deux lobbyistes-conseils inscrits au registre ont aussi pour mandat de faire des démarches afin que soient construites « des facilités portuaires ». « Ça prend du culot, laisse tomber Jacques Parizeau, qui a été ministre des Finances du Québec pendant huit ans. Et soit dit en passant, dans le Plan Nord, il n’y a aucune identification de ce port en eau profonde. Si le gouvernement commence à négocier pour l’implantation d’un port qui n’était pas précisé dans le Plan Nord, on ouvre la porte à toutes sortes de négociations. »

D’autres minières ont déjà fait savoir qu’elles pourraient demander de l’aide financière pour développer leurs projets. C’est le cas d’un projet de mine d’or réalisé par une filiale de Goldcorp, qui pourrait réclamer de l’aide publique pour construire une route, par exemple. Même chose pour le gigantesque projet de mine de fer de la multinationale Tata Steel et de la canadienne New Millennium Capital, près de Schefferville. Les estimations font état de l’extraction de 4,4 milliards de dollars de minerai par année. Mais il faudra pour cela construire un pipeline afin d’amener la matière jusqu’au port de Sept-Îles pour l’exporter. Il est aussi question d’un important approvisionnement en hydroélectricité.

Toutes les entreprises qui s’installeront dans le Nord québécois devront avoir accès à d’immenses quantités d’hydroélectricité à bon prix. M. Parizeau, qui a participé à la nationalisation de l’électricité au Québec, se questionne d’ailleurs sur les investissements massifs qui s’annoncent pour la Société d’État. « On est en train de fournir de l’électricité aux alumineries ou à l’agrandissement de la mine d’ArcelorMittal, à Mont-Wright, pour le tarif L, soit environ 4,2 ¢ kWh. Et les prochains projets d’Hydro-Québec seront à plus de 10 ¢ le kilowattheure. Déjà, le complexe de la Romaine coûtera 10 ¢ le kilowattheure. On entre dans le champ des coûts de production des éoliennes, et même dans le domaine du solaire, dans certains cas. Bref, on arrive à l’heure des choix. »

Le gouvernement semble pourtant décidé à poursuivre sur la voie des grands projets d’hydroélectricité. Alors qu’un plan d’expansion de 4500 mégawatts est déjà en branle, Québec a annoncé en 2008 qu’il comptait ajouter 3500 mégawatts supplémentaires, essentiellement sur le territoire du Plan Nord. « Le message, c’est “on continue vers le nord”, analyse l’ancien premier ministre. Sans détails, sans précision, Hydro-Québec monte vers le nord, et à des coûts qu’on ne connaît pas. Ils s’arrêteront quand? On ne sait pas. C’est énorme. Et les filières autres qu’hydraulique demeurent tout à fait secondaires. »

Contrer l’effet des redevances

Mais pourquoi Québec accepte-t-il de prendre de tels engagements financiers, avec le risque que cela comporte, pour inciter les entreprises minières à venir exploiter des ressources naturelles qui ont une très grande valeur?

« Le problème, explique M. Parizeau, est dans l’impression que, maintenant qu’on a changé les redevances au Québec, on est sur le point de ne plus être concurrentiels. Je suis convaincu que le gouvernement a été tellement surpris de voir l’argent rentrer, après les modifications du régime de redevances et du régime fiscal, qu’il a l’impression qu’il est sur le point de ne plus être concurrentiel. » Selon lui, tout se passe comme si Québec avait « honte » d’avoir haussé les redevances minières. « D’où le Plan Nord tel qu’il est aujourd’hui. »

Les ministres Raymond Bachand et Clément Gignac répètent d’ailleurs continuellement qu’il faut que le Québec demeure compétitif et concurrentiel. Pourtant, affirme Jacques Parizeau, la demande mondiale pour les ressources minérales est immense. Bref, « nous sommes en position de force... si on le veut. Les entreprises sont déjà là. Elles ont pris des permis d’exploration. On n’a pas besoin de les attirer ».

Et le changement du système de redevances était absolument nécessaire, après que le Vérificateur général a démontré qu’entre 2002 et 2008, l’État a versé plus d’argent aux minières qu’il n’en a reçu. Mais même si M. Bachand vante la hausse des redevances de 12 % à 16 % des profits d’une mine, M. Parizeau estime que « ce n’est pas grand-chose ». Et il est difficile de bien comprendre ce qui revient réellement à l’État, souligne-t-il, tant le calcul des redevances et des mesures fiscales offertes aux minières est « complexe ».

Chose certaine, le gouvernement pourrait aller beaucoup plus loin en se dotant d’une société d’État ou encore d’une société mixte qui serait en mesure d’avoir des actions dans les entreprises.

« La meilleure façon de procéder serait de mettre sur pied une société qui échangerait tout ce que le gouvernement ou ses sociétés d’État dépensent pour les entreprises contre des participations à l’actionnariat de ces entreprises, quelle que soit leur taille, propose-t-il. Ce serait la meilleure façon de récupérer une partie de la valeur de la ressource. En fait, il faut que les entreprises comprennent que, lorsqu’elles demandent quelque chose, elles vont se retrouver à augmenter la participation de l’État. »

Venant de celui qui a participé à la création des grandes sociétés d’État qui ont permis au Québec de prendre en main son avenir économique, dans la foulée de la Révolution tranquille, une telle idée invite au moins à la réflexion.

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Jacques Parizeau participera au colloque « Développement minier : vers un nouveau modèle pour le Québec », demain, à HEC Montréal.

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