Des Capitaliens de plus en plus frileux dans leurs « bas de laine »

2016-09-21
Normand Caron

La semaine dernière, le MÉDAC révélait que le patrimoine financier collectif total des ménages du Québec avait franchi en décembre 2015 le cap des mille milliards de dollars. Selon les plus récentes données publiques compilées, regroupées et analysées par le Capitalien, l’épargne financière collective totale des ménages du Québec avait effectivement atteint un sommet de 1 047 milliards de dollars au 31 décembre 2015, par rapport aux 682 milliards de dollars cinq ans plus tôt, soit au 31 décembre 2010. Une croissance de 53,6 % en cinq années, ce qui constitue un effort non négligeable d’épargne, tant individuellement que collectivement.

Au cours des prochains carnets du Capitalien, nous analyserons en détail tous ces chiffres. Non seulement pour mesurer la santé financière des ménages québécois, mais surtout pour comprendre le comportement global des investisseurs, identifier les tendances les plus significatives et évaluer l’évolution récente des grandes catégories d’actifs financiers.

Aujourd’hui, nous démarrons l’analyse par la présentation des actifs financiers à court terme que sont les dépôts des épargnants logés au sein des institutions financières présentes sur notre territoire. Quelles sont les sommes accumulées? Quels types de véhicule de placement ont été privilégiés? Quelles tendances ont été observées?

Le tableau suivant présente la valeur et l’évolution 2010-2015 des dépôts bancaires totaux, d’abord globalement, ensuite par ménage et finalement par habitant :

2010 2015 Variation en $ Variation en %
Dépôts totaux (… en millions $) 159 467 196 504 37 037 23 %
Par ménage 46 786 54 978 8 192 17,5 %
Par habitant 20 111 23 779 3 669 18,2 %

Tirons de ce tableau quelques constats :

Premier constat

L’ensemble des dépôts bancaires représente un pactole de tout près de 200 milliards de $. Si on y ajoute les dépôts qui figurent au passif des sociétés de fiducies (données disponibles uniquement pour 2014), cette somme doit minimalement dépasser les 220 milliards de $. Une progression assurée de plus de 37 milliards de $ ou de 23 %. Ce qui fait dire aux analystes et observateurs des marchés financiers que les épargnants québécois ont adopté depuis 2010 une attitude hyper conservatrice (pour ne pas dire « ultra-frileuse » ) en matière de placement et d’investissement.

Deuxième constat

Chacun des 8 263 600 habitants du Québec, tout âge et sexe confondu, a augmenté la valeur moyenne de ses dépôts bancaires de 3 669 $ au cours des 5 dernières années, une progression de plus de 18 %. Pour les 3 574 246 ménages, la hausse est approximativement la même que sur la base du per capita, soit 17,5 % Cela représente un effort d’épargne d’autant plus colossal que l’inflation a connu un taux moyen de 1,7 % par année et que le revenu personnel disponible n’a grimpé que de 12 % au cours de cette période.

Troisième constat

Quand on segmente les produits financiers à court terme proposés par le système bancaire canadien (ce qui inclut au Québec les caisses populaires), on peut s’interroger sur la logique des investisseurs. Par exemple, comme les rendements sont généralement plus élevés sur les dépôts à terme de cinq ans que sur les dépôts à vue, on peut penser que ces 37 milliards ont surtout été canalisés vers des dépôts de longue durée.

Rien de plus faux! Le tableau suivant démontre sans équivoque que les épargnants ont préféré laisser dormir leurs économies dans des dépôts à vue ou à préavis à rendement nul, plutôt que de les immobiliser dans des dépôts à rendement plus élevé, mais bloqués pour des périodes variant de 1 à 5 ans.

Ventilation et évolution des dépôts des particuliers 2010-2015

… en millions $ 2010 2015 Variation en $ Variation en %
Dépôts totaux 159 467 196 504 37 037 23 %
Dépôts à vue 68 353 100 723 32 370 47,4 %
Dépôts à terme 91 114 95 781 4 667 5 %

Des 37 milliards liquides qu’ont épargné les québécois sous forme de dépôt, 32 n’ont jamais pris d’autres chemins. Même pas vers un dépôt à terme, un certificat de placement garanti (CPG) ou même une obligation d’épargne du gouvernement. Seulement près de 5 milliards ont été convertis en dépôt à terme, une maigre progression de 5 % depuis 2010. Comment expliquer un tel comportement de la part des épargnants? À l’évidence, la descente au plancher des taux d’intérêt sur l’ensemble des produits financiers en a rendu hésitant plus d’un. Quand votre banquier ou conseiller financier vous propose de « geler votre argent » dans un CPG pendant 5 ans en vous offrant un beau 1.25 %2, la sagesse vous commande de réfléchir et de chercher d’autres options pour faire fructifier votre patrimoine. Les épargnants ont donc préféré laisser leur bas de laine au congélateur dans l’espoir qu’une éventuelle augmentation des taux d’intérêt en vienne à se manifester prochainement.

Le prochain carnet jettera un éclairage sur la performance des institutions financières sur ce marché fort lucratif (pour elles) de la canalisation de l’épargne à court terme. Qui des grandes banques à charte de Toronto, de nos caisses populaires ou de nos banques « québécoises » remportent la palme d’or? Les trouvailles du Capitalien réservent de belles surprises à ses lecteurs…

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1 Le MÉDAC, La richesse québécoise totale atteint mille milliards de dollars, Montréal, le 12 septembre 2016

2 Banque du Canada, Taux d’intérêt administrés des banques à charte — Dépôts à 5 ans des particuliers*  selected_historical_v122515

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