Tour d’horizon de la pratique de transformer du salaire en bonis

4 juin 2021
Dominique Lemoine

Il est renversant que tant de gens et d’États tombent des nues quand des entreprises mobilisent des ruses connues pour avoir l’air de rester décentes tout en accordant des rémunérations indécentes.

L’agence de presse Associated Press (AP) rapportait dès juin 2020 une étude Equilar/AP au sujet de conseils d’administration d’entreprises inscrites à l’indice boursier S&P 500 qui revoient les objectifs de performance de leur haute direction afin de les rendre plus faciles à atteindre dans le contexte de la pandémie, rendant ainsi plus accessibles les bonis liés à ces cibles, pendant que la haute direction brandit avoir renoncé à du salaire.

Juin 2020, c’était presque un an avant avril 2021, quand le gouvernement libéral du Canada a lancé une bouée de sauvetage pandémique de 5,9 milliards de dollars au transporteur aérien Air Canada, tel que rapporté dans La Presse, pour qu’il rembourse des clients et traverse la crise, à condition que ce magot n’aboutisse pas dans les poches des patrons. Sans compter les 650 millions de dollars captés en subventions salariales qui n’ont pas ruisselé jusqu’à 7000 agents de bord.

Détournements de fonds écrits dans le ciel

Exactement tel que décrit par l’étude Equilar/AP, en 2020 les dirigeants Calin Rovinescu et Michael Rousseau ont d’une main renoncé à du salaire, et de l’autre main reçu un boni spécial. De plus, les règles de leur programme de rémunération à long terme basé sur la valeur de l’action ont été ajustées.

En Angleterre, selon The Guardian, le patron de l’entreprise de vente au détail JD Group vient lui aussi d’être pris la main dans le sac avec 6 millions de livres surtout soutirées de bonis spéciaux, après avoir « volontairement » renoncé à 75 % de son salaire, et que JD Group eût reçu 100 millions de livres en aide sociale aux entreprises.

En bref, JD Group a vendu plus de vêtements de sport en raison des confinements, mais a quand même obtenu de l’aide sociale aux entreprises, et ses dirigeants récoltent à la fois le mérite de cette performance circonstancielle et les fruits qui viennent avec cette performance et avec l’aide de l’État.

Aux États-Unis, selon un rapport publié au début du mois de mai 2021, des bonis et des cibles « accommodantes » de performance de la haute direction, par exemple pour les hautes directions des entreprises Hilton, Chipotle et Yum Brands, ont contribué en 2020 à une croissance de 29 % de la rémunération totale des chefs de direction, comparativement à une baisse de 2 % du salaire des travailleuses et des travailleurs.

Allo la tour de contrôle? Y a-t-il un pilote dans l’avion?

Le précédent avec Bombardier aurait aussi pu mettre la puce à l’oreille d’un gouvernement averti et moins complaisant.

Aux États-Unis, des autorités municipales comme celles de Portland et de San Francisco commencent à exiger une taxe des entreprises dont les écarts de rémunérations entre la haute direction et la main-d’oeuvre dépassent les bornes. Certains le proposent au fédéral.

De plus, toujours selon The Guardian, des actionnaires se dégonflent quand se présente une opportunité de modérer les bonis et la rémunération de la haute direction des entreprises auxquelles ils prêtent une partie de leur capital, par exemple lors des votes des actionnaires sur la rémunération.

D’autres moyens évoqués pour contrôler les excès de rémunération incluent la représentation des travailleuses et des travailleurs aux conseils d’administration, l’obligation pour chaque entreprise considérable d’avoir un comité de rémunération, de mettre fin à la primauté des actionnaires sur les autres parties intéressées (parties prenantes*), ainsi que de renforcer les droits syndicaux et de négociation collective.

Pour l’heure, les gloutons ont beau jeu. En effet, pourquoi ne pas prendre pour des valises les actionnaires, les contribuables, les États et toutes les autres parties, puisque ces derniers rechignent sur les moyens à leur portée et se contentent de s’indigner après coup, plutôt que d’anticiper, de faire quelque chose et de prévenir?

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