Condamné pour manipulation de marché, l’AMF le laisse en paix
25 novembre 2016
La rédaction, Conseiller.ca
Condamné aux États-Unis pour avoir manipulé le marché, Éric Van Nguyen n’a pas été embêté par l’Autorité des marchés (AMF), malgré qu’un de ses ex-enquêteurs dit être convaincu qu’il a enfreint les lois canadiennes.
L’affaire a été révélée par les équipes francophone et anglophone de Radio-Canada. Elles racontent l’épopée de ce jeune étudiant de Concordia qui, en 2008, se lance sur le marché des penny stocks en ligne. En 2014, il est condamné à New York, accusé d’être mêlé à une vaste escroquerie flouant des milliers de petits investisseurs pour la somme totale de 290 millions de dollars américains.
Au Québec, rien.
Et pourtant, l’ancien directeur des renseignements à la Securities and Exchange Commission américaine, Thomas Sporkin, affirme ne pas comprendre pourquoi Éric Van Nguyen n’a pas été inquiété par les autorités canadiennes, alors que les sommes détournées sont sans précédent sur le marché des penny stocks.
Rappelons que les penny stocks sont offertes par les petites entreprises qui ne sont pas sur les grands marchés que sont le TSE ou le NASDAQ. Parce que ces entreprises n’ont pas les mêmes règles en matière de rapports financiers et sont moins surveillées, leurs actions sont souvent utilisées pour manipuler le marché.
Radio-Canada rapporte que M. Van Nguyen a travaillé pour une entreprise de promotion des penny stocks appartenant à Carol McKeown et Dan Ryan, un couple de Montréalais. Leur entreprise générait 1 million de dollars de revenus par mois en 2009. Mais en juin 2010, l’AMF demande à la cour de geler les avoirs du couple, ce qui met fin à leurs affaires.
Un procès est en cours au Québec, alors qu’aux États-Unis, en moins d’un an, une cour fédérale les a reconnus tous les deux coupables et condamnés à payer 4 millions de dollars. Le couple affirme ne pas avoir encore été jugé au Québec parce que le fait que ses avoirs soient gelés ne lui permet pas d’avoir recours à un avocat.
TOUT UN IMBROGLIO
C’est à ce moment-là qu’intervient Neal Mukherjee, ex-enquêteur à l’AMF et qui s’est penché sur le cas McKeown et Ryan. Dans le cadre de ses investigations, celui-ci a été amené à interroger Éric Van Nguyen. L’entrevue retranscrite par Radio-Canada indique que ce dernier a tout mis sur le dos de Dan Ryan.
« C’est Dan le cerveau derrière l’opération », affirme M. Nguyen à l’AMF.
M. Mukherjee a malgré tout des doutes. Et pourtant, l’AMF n’ouvre pas d’enquête contre Éric Van Nguyen et ses avoirs ne sont pas gelés, apprend-on.
Interrogé à ce sujet par les journalistes, l’ex-enquêteur n’a pas voulu en dire d’avantage.
« Je suis désolé, je suis vraiment, vraiment désolé, répond-il. J’adorerais vous répondre, mais c’est une grosse machine. Je n’ai pas les ressources pour me battre contre cette machine… »
M. Mukherjee sera par la suite renvoyé de l’AMF pour des raisons inconnues.
Le supérieur de Neal Mukherjee à l’époque, Fabrice Benoît, a quitté l’AMF pour reprendre du service en tant qu’avocat dans un cabinet privé. Il a avoué à demi-mot à CBC qu’un certain Éric Van Nguyen était son client… avant d’indiquer ne vouloir ni confirmer, ni infirmer cette information.
Au printemps, le nom de Van Nguyen a quant à lui ressurgi dans une toute autre affaire, celle des Panama Papers, en relation avec une société offshore enregistrée en 2010 et située dans les Îles vierges britanniques. CBC affirme par ailleurs avoir passé des mois à tenter de le retracer sans y parvenir. De deux choses l’une, soit il n’est plus au Canada, soit il la joue profil bas.
L’AMF n’a quant à elle pas souhaité répondre aux questions de Radio-Canada, comme cette affaire est en cours devant les tribunaux.