Mutation planétaire de l’énergie et de l’argent
25 mars 2022
Dominique Lemoine
La guerre en Ukraine a chamboulé l’ordre mondial en place depuis la fin de la guerre froide et a mis fin au processus de mondialisation en cours depuis 30 ans, selon Larry Fink.
C’est ainsi que Larry Fink, chef de la direction du gestionnaire d’actifs BlackRock, dans une lettre annuelle aux actionnaires, distincte de sa lettre annuelle aux présidents et chefs de direction, prend la mesure des décisions prises par des gouvernements et des entreprises de couper leurs ponts commerciaux et financiers avec la Russie pour sanctionner ce pays pour ses actions, ainsi que pour « isoler l’économie russe du système financier mondial ».
« Les ramifications de cette guerre ne se limitent pas à l’Europe de l’Est. […] L’impact se répercutera sur les décennies à venir de manières que nous ne pouvons pas encore prédire », à son avis. Par contre, Fink mentionne anticiper une démondialisation et une transition énergétique comme « changements structuraux à long terme » potentiels.
Fink laisse entendre que l’« isolement » et la « dissociation » de la Russie « poussera des entreprises et des gouvernements à réévaluer leurs dépendances », notamment par rapport aux ressources énergétiques de la Russie et d’autres pays, de même qu’à se réorganiser avec des approvisionnements plus locaux, plus proches ou plus amicaux.
Selon un texte publié sur le forum de l’École de droit de l’Université Harvard sur la gouverne d’entreprises, « la guerre redessine le paysage géopolitique en Europe et menace d’ériger de nouvelles barrières entre l’Ouest et le reste du monde ».
Renforcement commode d’un bloc de l’Ouest
Par exemple, déjà , selon Associated Press, la guerre « pousse à nouveau l’Europe occidentale dans les bras tendus des États-Unis », en particulier en matière d’importations de gaz naturel.
Au Canada, le ministère fédéral des Ressources naturelles a affirmé que l’industrie du pétrole et du gaz du Canada « a la capacité d’augmenter progressivement ses exportations de pétrole et de gaz d’environ 200 000 barils de pétrole par jour et de 100 000 barils d’équivalent pétrole par jour de gaz naturel au cours de 2022, afin de remplacer le pétrole et le gaz russes ».
Le ministère fédéral prétend que cette augmentation est possible « sans augmenter les émissions mondiales », et ce malgré les engagements du fédéral en matière de « transition vers une économie carboneutre ».
Trois jours avant cette déclaration, le Groupe consultatif pour la carboneutralité et le ministre fédéral de l’Environnement avaient souligné l’urgence d’élaborer des « objectifs quantitatifs quinquennaux de réduction des émissions pour le secteur pétrolier et gazier » du Canada et de « réaliser des progrès dans tous les secteurs de l’économie, et particulièrement dans les secteurs à forte intensité d’émissions, comme les secteurs du pétrole et du gaz ».
Ces déclarations sont survenues environ deux semaines après la prestation de Jean Charest en Alberta, désormais candidat à la direction du Parti conservateur du Canada, lors de laquelle il a plaidé en faveur d’une exportation accrue de pétrole et de gaz du Canada vers l’Europe et laissé entendre que ces livraisons accrues pourraient passer par le Québec.
Selon l’organisme Équiterre, anciennement dirigé par l’actuel ministre fédéral de l’Environnement et cité par Métro en février, « un jour, il faudra qu’on comprenne qu’il est complètement illogique de produire davantage d’hydrocarbures et de réduire nos GES ».
Renforcement aussi d’un bloc de l’Est et du Sud
Selon la BBC, Vladimir Poutine a déclaré que la Chine et la Turquie font encore partie des pays « amicaux » de la Russie, qui ne sont pas impliqués dans les sanctions économiques contre la Russie.
Des ententes seraient en voie d’être conclues pour transiger avec ces pays en roubles, en yuans et en livres turques. La Russie considère aussi accepter les paiements en bitcoins et en devises locales pour ses livraisons de pétrole et de gaz aux pays « amicaux » qui en veulent encore, ainsi que n’accepter que les paiements en roubles pour les pays « non amicaux ».
La liste russe des pays « non amicaux », soit ceux qui lui ont imposé des sanctions, inclut 48 pays sur 193 pays membres de l’ONU. Elle n’inclut aucun pays d’Afrique ni aucun pays d’Amérique du Sud.
Hier à l’ONU, un vote au sujet d’une résolution pour blâmer la Russie pour la crise humanitaire en Ukraine a obtenu l’appui de 140 pays, dont les 27 de l’Union européenne, contre 38 abstentions, incluant l’Afrique du Sud, la Chine, Cuba, l’Inde et l’Iran, ainsi que 5 oppositions (Biélorussie, Corée du Nord, Érythrée, Russie et Syrie).
Un vote effectué le 2 mars concernant une résolution pour demander un cessez-le-feu et un retrait immédiats de la part de la Russie avait obtenu l’appui de 141 pays, contre 35 abstentions et 5 oppositions. Par exemple, le El Salvador, qui a adopté le bitcoin comme monnaie légale en septembre 2021, s’est abstenu de voter contre la Russie lors de ce vote, alors que le Fonds monétaire international fait pression sur lui pour qu’il abandonne le bitcoin. Selon Al Jazeera, l’Ukraine et ses alliés espéraient égaler ou améliorer lors du vote d’hier le soutien obtenu lors du vote du 2 mars.
Lire aussi :
Tout le monde parlera de climat, en termes clairs ou pas ›››
La Caisse de dépôt se dit prête à renoncer au pétrole ›››
Devises numériques déconseillées aux âmes sensibles ›››