Rousseau n’est pas une personne morale

5 novembre 2021
Dominique Lemoine

Comme d’habitude, le mépris contre le français est présenté comme étant anecdotique. Dans une unanimité de façade qui ne change rien, le blâme va vers une personne, Michæl Rousseau, plutôt que vers la structure qui rend ce qu’il fait et représente possible.

Les entreprises, les États, la population dans son ensemble et le système économique sont aussi en cause ici. Ne blâmer qu’une personne qui serait particulièrement vilaine est moins risqué et compromettant, c’est choisir le sentier facile vers l’engagement social et la responsabilité sociale.

« Air Canada est délinquante depuis des années en accumulant des centaines de plaintes et des critiques pour le non-respect de la Loi sur les langues officielles et elle continue de faire comme si de rien n’était. On le constate, l’exemple vient d’en haut. Cette attitude est une autre preuve que le français [d’ici] est en péril », de déclarer la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ).

En effet, rappelle le journaliste Gérald Fillion, c’est bel et bien douze membres du conseil d’administration d’Air Canada qui ont engagé un unilingue anglophone comme PDG il y a moins d’un an, sans tenir compte de l’esprit de la Loi sur les langues officielles.

À son avis, « ce sont [eux] qui doivent s’assurer de la bonne gouvernance de la société [Air Canada], d’agir avec prudence et intégrité, dans l’intérêt de l’entreprise — une entreprise socialement responsable — et dans le respect des lois ».

Air Canada n’est qu’un arbre qui cache la forêt

Les plus hauts dirigeants de la Banque laurentienne, de Couche-Tard et de SNC-Lavalin ne parlent pas français non plus, rapporte TVA Nouvelles.

Selon le commissaire aux langues officielles, si Air Canada et d’autres peuvent se permettre de minimiser l’importance du français et des plaintes déposées par des citoyens et des citoyennes, leurs clients et clientes, c’est parce qu’elles demeurent impunies par l’État et que le commissariat n’a que des pouvoirs de recommandation sans conséquences administratives ou pécuniaires.

La Chambre des communes et l’État fédéral ne sont pas sortis du bois, alors que l’application des dispositions de la Charte de la langue française du Québec aux entreprises privées de compétence fédérale doit encore être revendiquée en 2021.

La perception de Michæl Rousseau ― par ailleurs répandue, tant à l’extérieur qu’à l’extérieur d’Air Canada ― de ce que que le français serait un caillou dans le soulier, ou du sable dans l’engrenage, de l’économie canadienne, imprègne ses propres excuses.

Ce dernier s’est épanché ainsi : « je m’engage à améliorer mon français, langue officielle du Canada et langue d’usage au Québec, tout en relevant les importants défis commerciaux qu’affronte Air Canada alors que nous sortons de la pandémie et passons au stade de la reconstruction pour un retour à la normale ».

Rousseau ne dit pas que le français est important, il dit qu’il est officiel et d’usage. Le reste est important, donc honte aux « offensés ». Il s’agit là des excuses de quelqu’un qui ne veut pas trop perdre la face.

Vents de condescendance, de suffisance et de défiance

Parce que, de l’autre côté, il y a aussi des gens qui pensent que Michæl Rousseau ne devrait pas du tout s’excuser et prétendent qu’un organisme de résistance à l’assimilation linguistique tel que l’Office québécois de la langue française est une « police de la langue ».

L’Institut de la confiance dans les organisations (ICO) affirme que la polarisation entre les « protecteurs de la langue française » et les « promoteurs du bilinguisme », voire de l’unilinguisme anglais, de l’anglais comme langue unique ou du laissez-aller, du laissez-faire et du libre marché linguistiques, est exacerbée actuellement dans une société qui est de plus en plus divisée.

Selon l’ICO, en contexte de polarisation, « les gens se campent sur leur position et n’écoutent plus la position des autres. On passe de la confiance, à la méfiance et puis à la défiance. La défiance envers nos institutions, envers les lois et envers les façons de penser de nos proches ». Par ailleurs, l’ICO dit voir une diminution de 10 % du respect des lois par les citoyens.

Selon le commissaire aux langues officielles, son propre bureau a été défié par l’équipe de direction entourant Michæl Rousseau quand il l’a avertie à l’avance que ce n’était pas une bonne idée de prononcer un discours unilingue en anglais dans le cadre d’un événement à Montréal.

« Quelqu’un de mon bureau a appelé les contacts que nous avons à Air Canada pour les encourager à apporter des modifications au discours. La réponse a été que c’est une communication avec un auditoire de la communauté d’affaires, que ce n’est pas une communication officielle d’Air Canada, que c’est une communication privée », a confié le commissaire à Patrick Masbourian.

Par contre, selon le commissaire, « peu importe l’auditoire, Air Canada est assujettie à la Loi sur les langues officielles. C’est une communication avec le public et ces communications doivent être dans les deux langues officielles », son PDG « représente » une entreprise qui est supposée être bilingue et qui doit montrer l’exemple.

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