Des assemblées annuelles en ligne à double tranchant
22 octobre 2020
Dominique Lemoine
Les assemblées d’actionnaires en ligne ne sont pas autant démocratiques que les entreprises émettrices le prétendent. Elles sont aussi plus contrôlées qu’elles veulent bien l’admettre.
Une étude publiée en août par des chercheurs des universités du Wisconsin et de l’Oklahoma, qui repose sur des données au sujet de 1874 assemblées annuelles tenues entre le 11 mars et le 30 juin 2020, laisse entendre que certaines de celles tenues en ligne dans le contexte de la pandémie « se sont éloignées » des rôles démocratiques qu’elles sont présumées avoir, en particulier en déprimant l’engagement actionnarial et la reddition de comptes.
« Les assemblées d’aujourd’hui sont tenues pour la forme. Juste une poignée d’actionnaires y assistent et les résultats de votes sont fixés en grande partie avant la réunion. Dans plusieurs cas, elles laissent la voix de l’actionnaire lambda non exprimée », alors qu’en principe, elles doivent permettre aux actionnaires d’exiger des comptes, par exemple en termes d’adoption par les dirigeants de politiques et de mesures sociales et environnementales.
Virage technologique commode pour faire taire la dissidence
Selon les deux chercheurs, les assemblées tenues au téléphone, c’est-à-dire en format audio seulement sans interaction vidéo ni interaction en personne, sont celles qui ont produit les taux de participation les plus faibles aux votes d’actionnaires, et les résultats les plus défavorables aux propositions d’actionnaires. De plus, le format en ligne « fournit à la direction un contrôle presque complet sur les interactions pendant l’assemblée ».
En avril 2020, l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) anticipait déjà que les assemblées en ligne ne donneraient « pas pleinement satisfaction aux petits actionnaires », notamment à cause de l’obligation de transmettre d’avance et par écrit leurs questions pour lecture et réponse en assemblée, sans possibilité d’exprimer leur satisfaction ou leur insatisfaction par rapport à la réponse fournie par l’émetteur.
Le chef de direction de l’association SHARE évoquait quant à lui déjà la possibilité « que des entreprises utilisent délibérément la tenue de leur assemblée en mode virtuel pour restreindre l’accès et la pleine participation de leurs actionnaires ».
Selon les deux chercheurs des universités du Wisconsin et de l’Oklahoma, « exiger sans bonne raison que les actionnaires passent au travers de toute une procédure ou limiter leur possibilité d’engager le dialogue avec la direction et entre eux est contre-productif et mérite une surveillance accrue », tout comme le tri des questions pour ne conserver que les plus faciles et la reformulation de questions pour les rendre moins cinglantes.
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