Rendre des comptes aux investisseurs est une perte de temps, selon des patrons

26 juin 2020
Dominique Lemoine

S’il n’en tenait qu’à certains dirigeants, les investisseurs devraient désormais placer leur actif ou leur épargne à l’aveuglette, sur la base des rendements passés plutôt que sur le potentiel des entreprises.

Au début du mois de juin, le président d’Expedia et IAC, Barry Diller, a lancé un appel à toutes les entreprises inscrites en Bourse, afin qu’elles cessent de manière permanente de fournir aux intervenants sur le marché des prévisions concernant leurs résultats financiers à venir.

Selon Diller, les entreprises « gaspillent » du temps pour élaborer ces estimations. « Utilisez votre temps pour déterminer où vous devriez investir votre argent, comment vous devriez gérer votre entreprise », leur a-t-il plutôt suggéré. À son avis, fournir des prévisions trimestrielles et annuelles a déjà été utile, mais plus maintenant.

Diller aurait dû aussi ajouter à ces questionnements comment attirer de l’argent à investir et à gérer quand une haute direction décide de refuser de rendre des comptes aux acteurs sur le marché du placement, dont les petits investisseurs et actionnaires, et de refuser que sa performance soit comparée aux attentes du marché.

Dans une réplique à Diller, le président du cabinet-conseil Ellipsis en relations avec les investisseurs lui rappelle que la valeur des actions des entreprises repose sur les attentes de performance future des entreprises, et que ce sont les entreprises elles-mêmes qui détiennent le plus d’informations au sujet de leur propre futur.

De plus, Diller verse dans le commode artifice présent-centriste que la génération actuelle de dirigeants serait nécessairement plus bienveillante ou compétente que les précédentes, et donc que la transparence et l’imputabilité ne seraient plus nécessaires. Des salades aussi servies au sujet de l’existence des syndicats, par exemple.

Beaucoup de temps pour les contorsions comptables par contre

Pourtant, des dirigeants bien d’aujourd’hui ne semblent pas considérer comme étant des pertes de temps les pratiques d’obscurcir des comptes et d’élaborer des ajustements comptables non reconnus et donc peu fiables pour présenter de manière plus flatteuse des performances financières passées, dont dépend leur rémunération variable.

Ces pratiques sont devenues assez courantes pour que la firme d’analyse de risques financiers Moody’s, l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), le Financial Reporting Council (FRC) et la U.S. Securities and Exchance Commission (SEC) jugent nécessaire d’émettre des avertissements à leur sujet, en particulier au sujet de la « contorsion financière EBITDAC », utilisée pour parler de résultats avant intérêts, taxes, dépréciation, amortissement et coronavirus.

Selon l’AEMF, des entreprises trouvent du temps pour mettre en évidence dans leurs états financiers des estimations maison de leurs revenus perdus en raison de la pandémie de COVID-19, fournissant ainsi au marché, sur des bases pas nécessairement consensuelles, un portrait imprécis et peu comparable de leur potentiel de performance globale actuelle et prochaine.

Même que, selon un consultant Deloitte, ce travail requiert de la part des entreprises de prendre le temps de juger et de décider ce qui était un coût normal, ce qui n’était pas un coût normal, ainsi que ce qui n’était pas un coût récurrent et qui le deviendra dans la nouvelle normalité. Selon le Financial Times, des entreprises trouvent aussi le temps de substituer leurs revenus et profits de cette année par ceux de l’année dernière dans leurs documents destinés aux prêteurs.

Dans le contexte actuel cependant, selon Moody’s, les documents financiers qui seront tournés vers l’avenir seront plus utiles aux investisseurs que les documents financiers qui contiendront des mesures et des ajustements hypothétiques et subjectifs pour embellir le présent et le passé.

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