Les paradis fiscaux, adversaires des États

19 octobre 2016
Dominique Lemoine

La tolérance de l’existence d’un système de paradis fiscaux et de législations de complaisance à la carte est responsable des mesures d’austérité qui rapprochent le Québec du niveau de pays financièrement pauvre, affirme Alain Deneault, qui est notamment l’auteur des enquêtes Offshore : Paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Paradis fiscaux : la filière canadienne et Une escroquerie légalisée : Précis sur les « paradis fiscaux ».

Dans le cadre d’une conférence organisée par le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), Deneault a présenté les paradis fiscaux et les législations de complaisance dans lesquels circulent des dizaines de milliards de dollars comme étant responsables des mesures d’austérité « mesquines » qui sont imposées par plusieurs États dans le monde, dont le Québec. Ils seraient aussi responsables de la diminution continue de l’imposition du capital par des États en concurrence pour conserver les impôts qui sont encore à leur portée.

Les mesures d’austérité évoquées par Deneault comprennent la tarification de services publics au détriment des moins nantis et de la classe moyenne, par exemple avec des taxes santé, une dégradation des systèmes d’éducation publics, des soins de santé publics, des infrastructures de transport publiques, ainsi que des conditions de travail des employés de tous les secteurs.

Deneault a par exemple expliqué un procédé de fausses factures qui serait utilisé par des multinationales morcelées pour prétendre aux agences de revenus devoir payer des factures de leurs filiales, par exemple aux Bermudes, ce qui leur permet de réduire leur revenu imposable. Ainsi, une multinationale pétrolière comme Total pourrait prétendre ne pas faire de revenus imposables.

Le docteur en philosophie et enseignant en sciences politiques a raconté en partie l’histoire de la création de petits États des caraïbes, avec la collaboration de banques canadiennes coloniales au service de l’empire britannique, pour qu’ils deviennent des partenaires légaux sur mesure au service d’une délocalisation légale d’actifs et de revenus imposables de grandes entreprises et de nantis désormais enseignée dans des HEC financés par l’État.

Le Canada serait d’ailleurs lui-même la boutique fiscale préférée des sociétés minières de la planète. Selon Alain Deneault, une société minière de la planète serait canadienne trois fois sur quatre.

Solutions potentielles et blocages systémiques

Les solutions potentielles identifiées par Deneault incluent l’éducation populaire et une volonté sincère encore inexistante des dirigeants à utiliser les moyens constitutionnels existants d’être « souverain » sur le plan fiscal. Cependant, il doute de la possibilité à court terme de la deuxième solution, puisqu’il considère la plupart des hauts dirigeants politiques comme étant des parties prenantes d’un système oligarchique qui se neutralisent elles-mêmes en votant des traités et des lois complaisants qui exposent les États à des poursuites s’ils interviennent en défaveur des volontés des multinationales.

Alain Deneault juge que les multinationales ont quant à elles la souveraineté d’apparaître où elles se font offrir des avantages et de disparaître d’où elles se font exiger des contraintes sur le plan fiscal. Pour contrer la souveraineté des multinationales et des paradis fiscaux sur le plan fiscal, il propose d’imposer les multinationales sur la base de leurs revenus mondiaux consolidés et du pourcentage de leur activité réelle réalisée sur le territoire.

De plus, l’auteur ajoute qu’il existerait présentement dans le monde une conjoncture favorable, « du centre-droit à l’extrême-gauche », pour corriger ce rapport de force, par exemple au niveau du secret bancaire et de la neutralisation de lois fiscales nationales redistributives, ainsi que pour prendre des décisions politiques souveraines contre les paradis fiscaux, les législations de complaisance et les pressions d’actionnaires envers un maximum de rendement indifférent à ses propres coûts et conséquences.

Ainsi, à son avis, la question pour les États et leurs citoyens n’est plus de se demander « comment agir seul? », mais plutôt de se demander « pourquoi être le(s) seul(s) à ne pas agir? ».

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