Autoréglementation menacée
15 juin 2017
Gérard Bérubé, Le Devoir
Le ministre des Finances s’apprêtait à retirer le mur coupe-feu qu’il estimait pourtant essentiel, il y a 15 ans, afin de diluer la concentration des pouvoirs crainte lors de la création de l’Autorité des marchés financiers. Le projet de loi sur la distribution des produits et services financiers qui devait être déposé vendredi prévoit la fin de l’autoréglementation au sein de ce guichet unique, venant de la disparition des Chambres de la sécurité financière et de l’assurance de dommages.
Les médias financiers spécialisés multiplient les reportages et la publication d’avis d’experts et de dirigeants de l’industrie des services financiers craignant, voire dénonçant, la volonté du ministre des Finances d’intégrer les deux Chambres à l’AMF. Par souci d’allégement du fardeau réglementaire, dit-on à Québec et à l’AMF. Cette Loi sur la distribution de produits et services financiers revisitée et révisée devait être disséminée dans le projet de loi omnibus devant être déposé vendredi.
Selon Radio-Canada, il ne pourra finalement être déposé avant la fin de la session. Mais au cabinet du ministre Carlos Leitão, on promet que ce sera fait « dès les premiers jours de la reprise des travaux en septembre prochain ».
Jeudi dernier, lors de son assemblée générale annuelle, la Chambre de sécurité financière (CSF) évoquait les rumeurs sur son abolition dans le cadre de la nouvelle loi et plaçait son assemblée sous le thème « La santé financière, c’est notre affaire à tous ». Dans son communiqué, elle reprenait les commentaires des participants défendant « l’importance de protéger le modèle d’encadrement québécois, au sein duquel la Chambre joue un rôle essentiel, afin d’assurer la protection du public et de maintenir la confiance des épargnants et investisseurs à l’endroit de l’industrie des services financiers ».
Ce thème, ou cette reconnaissance, est repris, ou partagée, par des organismes de protection des consommateurs, par des avis juridiques, par les cabinets de services financiers. Ce système d’encadrement des conseillers, empruntant à l’autoréglementation selon un modèle s’apparentant à un ordre professionnel, joue pleinement son rôle. Option consommateurs, pour une, l’avait défendu en [2015] et le redit aujourd’hui. Le système actuel d’encadrement comporte deux facettes, « chacune étant indispensable à une protection de type prudentielle ».
L’organisme estime que le regroupement de ces deux facettes au sein de l’AMF pourrait aussi conduire à l’affaiblissement de l’encadrement des représentants au profit de celui des cabinets. Et manifeste sa préférence que les chambres demeurent des entités séparées, responsables spécifiquement de l’encadrement des représentants.
D’autant qu’il est reconnu que, en matière d’encadrement et de discipline, il n’y a pas plus rigoureux que ses pairs. À titre d’exemple, la CSF souligne dans son rapport annuel 2016 que, en matière disciplinaire, 554 demandes d’enquête ont été traitées et, après examen, 81 % d’entre elles ont mené à l’ouverture de dossiers. À noter que 43 % des dossiers ont été ouverts à la demande de consommateurs, comparativement à 27 % en provenance de l’industrie et 30 % de la syndique de la CSF. Globalement, 56 % des enquêtes ont conclu que les infractions alléguées étaient fondées, peut-on lire dans le magazine Conseiller.
Un débat déjà fait
Ce débat sur le guichet unique a pourtant déjà été fait au cours des consultations ayant mené à la création de l’AMF, en 2002. La ministre des Finances d’alors, Pauline Marois, se rendait aux critiques, commentaires et argumentaires en apportant quelque 180 amendements à son projet de loi. Aux craintes de concentration de pouvoirs et de perpétuels conflits d’intérêts, la ministre a répondu avec un encadrement double prévoyant que certains pouvoirs soient délégués à des structures recevant le statut d’organisme d’autoréglementaion. On évoquait les deux Chambres et l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières, section Québec.
On écrivait alors que les modifications proposées allaient dans le sens d’un encadrement bicéphale distinguant clairement la surveillance « policée » des marchés et celle de l’exercice du droit de pratique. D’une double entité qui permettrait de concilier, sans ambiguïté et sans apparence de conflits, le rôle prudentiel de base et la surveillance des pratiques professionnelles et commerciales des institutions, des cabinets et des conseillers.
Pourquoi cette distinction et cette séparation des pouvoirs, qui faisaient consensus il y a 15 ans, ne sont-elles plus valables aujourd’hui?