« Après avoir écouté les récents débats publics sur la rémunération des hauts dirigeants de Bombardier, j’ai demandé au conseil de revoir ma rémunération de 2016 en la réduisant au niveau de 2015 », écrit Pierre Beaudoin.
Photo Ivanoh Demers, Archives La Presse
Bombardier : Pierre Beaudoin renonce à son augmentation de salaire
31 mars 2017
Julien Arsenault, La Presse Canadienne
En raison du tollé provoqué par les hausses de salaire marquées chez Bombardier, le président exécutif du conseil d’administration de la multinationale, Pierre Beaudoin, a décidé de renoncer à son augmentation.
« Après avoir écouté les récents débats publics sur la rémunération des hauts dirigeants de Bombardier, j’ai demandé au conseil de revoir ma rémunération de 2016 en la réduisant au niveau de 2015 », écrit M. Beaudoin.
Au cours de l’exercice 2015, celui-ci avait touché un salaire total - qui comprend notamment les options sur des actions, les primes, ainsi que la valeur du régime de retraite - de 3,85 millions $US.
M. Beaudoin devait initialement toucher 5,25 millions $US, soit 36 % de plus qu’en 2015
Plusieurs ont jugé que le montant global de 32,6 millions $US - en hausse de 50 % sur un an - octroyé aux six plus hauts dirigeants du constructeur d’avions et de trains était indécent, alors que Québec a injecté 1,3 milliard $ dans la CSeries et que le gouvernement Trudeau vient de consentir un prêt de 372,5 millions $.
De plus, d’ici la fin de 2018, Bombardier devrait avoir éliminé quelque 14 500 postes à travers le monde dans le cadre de son plan de redressement.
« La confiance de nos concitoyens et celle de nos gouvernements sont extrêmement importantes pour l’entreprise et pour moi, indique M. Beaudoin. Il est clair que la situation a dévié l’attention qui était portée sur le travail important réalisé par nos employés et notre haute direction pour que cette formidable entreprise renoue avec la croissance », a poursuivi le président exécutif du conseil.
M. Beaudoin a dit avoir pris cette décision afin de « remettre l’accent sur l’essentiel », soit la « transformation de Bombardier pour en faire le manufacturier d’avions et de train le plus compétitif au monde ».
Pas d’autres diminutions
Les cinq autres hauts dirigeants ne subiront pas de diminution de salaire. Le salaire global du président et chef de la direction, Alain Bellemare, a été de 9,5 millions $US en 2016, comparativement à 6,4 millions $US l’année précédente.
En considérant la diminution de salaire de M. Beaudoin, les six plus hauts dirigeants de la société toucheront une rémunération globale de 31,2 millions $US pour l’exercice 2016, ce qui représente une augmentation de 43%. Certains patrons ont été embauchés à des moments différents en 2015, ce qui fait en sorte qu’ils n’ont pas été rémunérés pour l’ensemble de l’année.
Couillard s’en mêle
En fin d’après-midi, vendredi, le premier ministre Philippe Couillard avait invité les parons de Bombardier à réévaluer leur politique de rémunération après avoir affirmé la veille que cette question concernait plutôt les actionnaires de la multinationale québécoise.
« Les dirigeants de Bombardier sont des Québécois comme nous et ils entendent ce que disent les Québécois. Alors je pense qu’ils vont certainement être capables d’avoir au moins une réflexion sur la question », avait déclaré M. Couillard plus tôt dans la journée, en marge d’un événement devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, son ministre des Finances, Carlos Leitão, avait également enjoint la haute direction à réfléchir à ce sujet.
Claude Béland enjoint les actionnaires de Bombardier à se mobiliser
Claude Béland, qui a présidé le Mouvement Desjardins et le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), enjoint les investisseurs mécontents de Bombardier à se déplacer à l’assemblée annuelle de l’entreprise pour s’opposer en personne aux importantes augmentations de salaire octroyées aux membres de sa haute direction.
Compte tenu de la situation dans laquelle se trouve la multinationale québécoise, M. Béland a qualifié ces augmentations « d’injustes » et « indécentes ».
« Je pense que le seul recours des actionnaires en ce moment, c’est de montrer leur mécontentement », a dit celui qui a dirigé le MÉDAC de 2008 à 2012, vendredi, au cours d’un entretien téléphonique.
M. Béland a reconnu qu’il est difficile, voire impossible, de faire plier la famille Beaudoin-Bombardier sur l’aspect de la rémunération de ses patrons, puisque les actions à droit de vote multiple lui permettent de contrôler 53,23 % des droits de vote.
À l’instar de plusieurs, l’ancien président de Desjardins juge que le montant global de 32,6 millions $US - en hausse de 50 % sur un an - octroyé aux six plus hauts dirigeants du constructeur d’avions et de trains est exagéré, alors que Québec a injecté 1,3 milliard $ dans la CSeries et que le gouvernement Trudeau vient de consentir un prêt de 372,5 millions $.
C’est du « jamais vu », estime-t-il, étant donné que la compagnie s’est retrouvée près de la faillite et qu’elle a été sauvée « avec l’argent du public et des actionnaires ».
« Cela heurte tellement le simple bon sens en plus de démontrer les difficultés du système capitaliste financier actuel, a lancé M. Béland. Les pauvres actionnaires minoritaires […] se retrouvent avec un investissement sans un important droit de parole. »
L’avocat devenu gestionnaire a dit ne pas avoir apprécié la déclaration du premier ministre Philippe Couillard à l’effet que la controverse entourant la rémunération relevait des actionnaires de la société.
Bombardier (TSX :BBD.B) tiendra son assemblée annuelle le 11 mai, à son centre montréalais de finition des avions d’affaires Global, à Dorval.
Actionnaires mécontents
L’an dernier, la résolution consultative non contraignante sur l’approche de l’entreprise en matière de rémunération des membres de la haute direction avait été appuyée dans une proportion de 96,06 pour cent par les actionnaires.
Depuis quelques jours, le MÉDAC a par ailleurs dit avoir reçu des appels d’actionnaires mécontents désireux de lui transmettre leurs procurations en vue des votes de l’assemblée annuelle.
Entre-temps, des investisseurs particuliers contactés par La Presse canadienne ont exprimé un souhait similaire à celui de M. Béland, écorchant au passage la direction de Bombardier.
Non seulement le dividende a été éliminé en 2015, mais ces derniers estiment que l’investisseur moyen n’a pas son mot à dire en raison des actions à droit de vote multiple.
« C’est frustrant et c’est trop, a déploré Ronald Clavel, qui détient plus de 10 000 actions. Quand on regarde les augmentations de salaires qu’ils se sont octroyées, c’est comme avoir les deux mains dans le plat de bonbons. »
Irrité, M. Clavel ne vendrait pas ses actions « demain matin » parce qu’elles ont perdu de la valeur, mais n’hésiterait pas à liquider sa position s’il était en mesure de « récupérer ses pertes ».
Pour leur part, Michel Vallières, un retraité de Bombardier, et John Chambers, qui détiennent chacun « quelques milliers » de titres, comptent se déplacer pour aller interpeller la direction de l’avionneur québécois.
« Même si on ne remporte pas le vote, j’aimerais que les gens s’expriment de façon marquée contre la rémunération parce qu’on pourrait envoyer un message », a dit M. Chambers.
Puisque leurs actions de Bombardier ont également perdu beaucoup de valeur au fil du temps, MM. Vallières et Chambers ne veulent pas les vendre dans l’immédiat. Ils affirment cependant ne pas avoir le goût d’investir davantage dans la société.