Quand la protection du consommateur n’est pas d’intérêt national
3 décembre 2016
Gérard Bérubé, Le Devoir
Tout le Québec politique et l’opposition à Ottawa ont fait front commun cette semaine contre une nouvelle tentative d’intrusion du fédéral dans un champ de compétence provinciale. Même les conservateurs, pourtant à l’origine d’un projet de loi similaire sous la gouverne de Harper, se sont ralliés. Ottawa essaie une nouvelle fois de soustraire les banques de la réglementation provinciale en matière de protection des consommateurs, dénoncent-ils.
La Chambre des communes débat du projet de loi C-29, dit « mammouth ». Le Bloc québécois, puis le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) et l’Assemblée nationale ont tour à tour décrié les articles portant sur une refonte qui accorderait à la Loi sur les banques préséance sur la Loi sur la protection du consommateur (LPC).
À Québec mardi, la motion suivante a été adoptée à 96 votes pour, 0 contre et 0 abstention : « Que l’Assemblée nationale exige du gouvernement fédéral le retrait des dispositions du projet de loi C-29, loi no 2 portant à exécution certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2016 et mettant en oeuvre d’autres mesures qui rendraient inapplicables celles de la Loi sur la protection du consommateur encadrant la relation entre les banques et leurs clients. »
Amendements déposés
Le Bloc québécois a mené l’offensive à Ottawa et demandé au gouvernement fédéral de faire marche arrière sur cette question. Le MEDAC a pesé de son appui.
« Le porte-parole du Bloc en matière de finances, Gabriel Ste-Marie, a déposé deux amendements visant à éliminer les éléments des articles 117 et 131 qui permettraient aux banques d’outrepasser les lois québécoises, en plus d’en ajouter un troisième qui aurait pour effet de rendre illégal l’évitement fiscal dans les paradis fiscaux par les banques et les grandes entreprises », résume la documentation du MEDAC.
« Que ce soit au sujet des valeurs mobilières ou de la protection des consommateurs en matière bancaire, la volonté fédérale de faire fi du partage constitutionnel des pouvoirs transcende les partis. À vue de nez, elle semble alimentée par la volonté sans faille des lobbyistes bancaires et financiers de Bay Street. Cela nous mène tout droit à des années de flou juridique, voire de contestations judiciaires de dispositions anticonstitutionnelles, qui ne seront certainement pas à l’avantage ni des consommateurs ni des investisseurs », a dénoncé Willie Gagnon, du MEDAC.
À Ottawa le secrétaire parlementaire du ministre des Finances, François-Philippe Champagne, a invité les parties à aborder l’entièreté des dispositions. Sous cette vue d’ensemble, le projet de loi se veut un « pas en avant pour les consommateurs », a-t-il défendu, selon ce qu’a écrit le Huffington Post.
Retour
En 2012 les conservateurs avaient déposé le projet de loi C-38 comprenant des dispositions similaires. Après les valeurs mobilières, les produits bancaires, disait-on alors. Le gouvernement conservateur se proposait alors de modifier la Loi sur les banques afin d’y ajouter un préambule évoquant l’intérêt national et stipulant des normes exclusives applicables aux produits et services bancaires. Le ministre québécois de la Justice d’alors, Jean-Marc Fournier, menaçait d’entamer de nouveaux recours devant les tribunaux pour faire reconnaître les droits et compétences du Québec en matière de droit civil, de déontologie des représentants et de protection du consommateur même s’il s’agit de produits bancaires.
Les doléances des banques? Que l’Office de la protection du consommateur, voire que des fonctionnaires provinciaux viennent s’immiscer dans une relation commerciale entre le prêteur et l’emprunteur, au demeurant dicter la politique de prêt d’institutions financières de compétence fédérale. Elles aiment également invoquer la Constitution et rappeler le rôle et l’autorité du gouvernement fédéral sur les produits et services financiers. Les banques sont exclusivement un domaine de compétence fédérale, le gouvernement ayant une autorité exclusive sur les activités bancaires, soutiennent-elles.
Willie Gagnon est revenu à cette disposition adoptée par le gouvernement Harper. Il a « introduit, dans le préambule de Loi sur les banques, la notion de normes “complètes et exclusives”, notion dont la portée juridique a par la suite été restreinte par l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Marcotte (2014), garantissant du coup la portée de la LPC ». Il reprend le libellé de l’arrêt selon lequel « [les] règles […] provinciales […] n’empêchent pas la réalisation de l’objectif fédéral, qui consiste à établir des normes complètes et exclusives ».
Mais à l’instar du projet d’agence pancanadienne en valeurs mobilières, Ottawa ne se laisse pas abattre par les décisions de la plus haute Cour au Canada.