Tiraillage réglementaire entre les masses et les riches
5 février 2021
Dominique Lemoine
L’imposition par des courtiers en ligne de restrictions sur les quantités des actions de GameStop, d’AMC et de Nokia pouvant être transigées a été perçue par certains investisseurs individuels comme étant une manipulation du marché pour protéger des intérêts d’investisseurs institutionnels établis.
Selon un investisseur individuel dont les propos ont été recueillis par Bloomberg et rapportés dans le New York Times (NYT), « les courtiers en ligne [en particulier Robinhood] présentent désormais une façade de protection des clients pour pouvoir apaiser leurs partenaires financiers institutionnels ».
À Washington, les élus Alexandra Ocasio-Cortez et Ted Cruz ont eux aussi pointé du doigt l’industrie du courtage en ligne pour avoir « imposé des limites aux opérations boursières afin d’aider les fonds spéculatifs », dont des positions à découvert ont été soufflées par un vent haussier poussé par un essaim d’individus.
Selon CNBC, la sénatrice Elizabeth Warren exige de son côté des « règles claires » sur la « manipulation des cours » boursiers.
Selon le NYT, des têtes dirigeantes du Senate Banking Committee et du House Financial Services Committee ont quant à eux réclamé la tenue d’audiences sur ces questions, tandis que les autorités législatives et réglementaires pourraient intervenir de manière à rendre les transactions boursières plus coûteuses pour les individus.
Protection du petit investisseur ou maintien de l’ordre établi?
De ce côté-ci de la frontière, Miville Tremblay, senior fellow à l’Institut C.D. Howe, a évoqué la possibilité que la U.S. Securities and Exchange Commission puisse « modifier les règles du jeu », voire « sanctionner une possible manipulation des marchés ».
« Les autorités devront arbitrer la protection des petits investisseurs, la stabilité financière et le bon fonctionnement des marchés », puisque les investisseurs « amateurs ne sont pas de taille à vaincre les professionnels de Wall Street », et car « beaucoup perdront leur argent », soutient Miville Tremblay.
Cependant, selon le NYT, les quidams qui décident de s’unir via des réseaux sociaux pour accumuler des parts d’entreprises « disent ne pas vouloir ou ne pas avoir besoin de protection », et ils plaident que ceux, dont les médias, qui incitent à la prudence, « protègent en fait les fonds spéculatifs et l’ordre établi à Wall Street ».
Selon le chef de la direction et fondateur de l’application Invstr, Kerim Derhalli, « l’investissement social est là pour rester », c’est-à-dire l’acquisition par des individus d’actions d’entreprises qu’ils connaissent et apprécient, et « il s’agit d’une tendance commerciale dont nous ne sommes qu’au début ».
À son avis, les investisseurs de la rue, en particulier les plus jeunes, ont désormais accès à plus d’informations qu’ils peuvent se partager en temps réel, et ils ont ainsi plus de pouvoir, en plus d’être en phase avec les changements économiques, environnementaux et sociaux qui surviennent et les tendances de consommation.
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