La proposition d’Ottawa reçoit un accueil glacial

Ottawa offre aux sénateurs de reporter l’application de la partie controversée concernant les banques

C-29 compte plus de 240 pages et inclut une section qui aurait pour effet de soustraire les banques de l’application de la Loi sur la protection du consommateur et de leur imposer un régime fédéral moins contraignant. Photo : iStock

10 décembre 2016
Karl Rettino-ParazelliLe Devoir

La proposition du gouvernement Trudeau de reporter l’entrée en vigueur de la portion controversée du projet de loi C-29, qui vise à modifier la Loi sur les banques pour qu’elle ait préséance sur les lois provinciales de protection des consommateurs, est un « leurre pour essayer de gagner quelques votes au Sénat », selon le sénateur indépendant André Pratte.

Jeudi, le leader du gouvernement au Sénat, Peter Harder, a proposé à ses collègues d’adopter le projet de loi C-29 dans son intégralité, tout en proposant de repousser au plus tard au 31 mai 2017 l’entrée en vigueur de la partie V, qui modifie la Loi sur les banques. Le gouvernement fait valoir qu’en adoptant le projet de loi dès maintenant, les sénateurs pourront malgré tout s’impliquer dans l’élaboration des règlements.

« Pour la suite des choses, nous continuerons de travailler avec les groupes de consommateurs, les intervenants, les provinces et territoires, alors que nous élaborons les réglementations et mettons en oeuvre la loi », soutient Daniel Lauzon, le directeur des communications du ministre des Finances, Bill Morneau.

Le projet de loi C-29 compte plus de 240 pages. Il contient surtout des mesures budgétaires, que le gouvernement veut voir adoptées rapidement, mais il inclut aussi une section qui aurait pour effet de soustraire les banques de l’application de la Loi sur la protection du consommateur, leur imposant ainsi un régime fédéral moins contraignant.

« C’est un semblant de compromis, mais ce n’est pas un compromis », a réagi vendredi le sénateur indépendant André Pratte, qui déposera un amendement au Sénat en début de semaine prochaine pour retirer la portion controversée du projet de loi.

« Le gouvernement dit : “Adoptez la loi telle quelle et on va en retarder l’application pour quelques mois.” Mais ça ne veut rien dire. Ça veut dire : “Donnez-nous tout ce qu’on veut.” »

« Pour nous, c’est un demi-aveu de culpabilité, mais ça ne change rien sur le fond. Les libéraux essaient seulement de gagner du temps », a commenté le député du Bloc québécois Gabriel Ste-Marie, qui a interpellé le gouvernement libéral à ce sujet en Chambre vendredi avant-midi.

Convaincre les sénateurs

Pour que l’amendement proposé par M. Pratte soit adopté la semaine prochaine, il devra obtenir l’appui de la majorité des 104 membres de la Chambre haute. Le caucus des 41 sénateurs conservateurs n’a pas encore pris position, mais son leader, le sénateur Claude Carignan, a déjà choisi son camp.

« Le gouvernement libéral de Justin Trudeau tente un coup de force incompréhensible sur les droits des consommateurs. En effet, s’il est adopté intégralement, [le projet de loi C-29] viendra donner un pouvoir démesuré aux banques à l’encontre des consommateurs », a-t-il déclaré vendredi, à titre personnel.

« Dans les prochains jours, je m’emploierai à mobiliser mes collègues sénateurs afin que nous unissions nos efforts pour contrer cette tentative irrespectueuse du gouvernement Trudeau de bafouer les champs de juridiction provinciale et d’altérer à la baisse les droits des consommateurs québécois et canadiens », a-t-il ajouté.

« Je sais que [l’amendement] a beaucoup d’appuis, à la fois chez les conservateurs, les libéraux et les indépendants, a indiqué André Pratte. Mais je ne me risque pas à faire des prévisions sur le score final, parce que ça risque de bouger. »

Lutte de pouvoir

Lors de son plaidoyer livré jeudi, le sénateur Harder est allé jusqu’à dire que « ce n’est pas le rôle du Sénat de rejeter un projet de loi d’exécution du budget ou d’y apporter des amendements de fond », en ajoutant qu’un pareil rejet n’est survenu qu’une seule fois, il y a plus de 20 ans.

« Les architectes de la Confédération n’ont jamais voulu que le Sénat soit l’éternel rival de la Chambre basse ou son égal. C’est particulièrement vrai dans le cas des projets de loi budgétaires visant à mettre en oeuvre des politiques qui ont été explicitement définies, puis adoptées par la Chambre élue », a-t-il lancé.

Une interprétation que ne partage pas André Pratte. « Ce débat touche à deux éléments importants, c’est-à-dire la protection des consommateurs quant aux banques et le respect des juridictions provinciales. Et la protection des intérêts des régions est une des missions du Sénat », fait-il remarquer.

Opposition québécoise

Si les modifications proposées par C-29 finissaient par être adoptées, le gouvernement Trudeau ne serait pas au bout de ses peines, puisque le gouvernement Couillard a déjà annoncé son intention de contester la loi jusqu’en Cour suprême, s’il le faut.

« Il n’est pas question de laisser passer cette encoche évidente dans nos compétences, absolument pas question », a déclaré mercredi le premier ministre Philippe Couillard.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une motion réclamant le retrait des dispositions du projet de loi C-29, qui « rendraient inapplicables celles de la Loi sur la protection du consommateur encadrant la relation entre les banques et leurs clients ».

[…]

Lire la suite :

Source ›››

Partenaires :