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« Avec le recul, je pense qu’on a eu besoin des syndicats, que c’était nécessaire pour faire avancer le Québec, pour agir comme contre-pouvoir. »

Alain Bouchard

Gérald Fillion — C’est à peu près 35 % des Québécois qui sont membres d’un syndicat. En Norvège, vous avez acheté les activités de détail de Statoil, on est plus à 2 travailleurs sur 3. On est plus entre 60 et 70 %. Vous avez bien composé avec ces syndicats. Vous avez dû vous ajuster, vous avez dit, mais vous aimez leur système.

Alain Bouchard — Bien la Norvège, c’est un pays isolé, fermé, avec des barrières très étanches. Alors, si vous regardez les prix que l’on pratique, en Norvège, vous allez payer un hot-dog 6 dollars. Le même hot-dog que l’on vend [ici] 1,49 $… 1,99 $.

— Donc les marges sont plus élevées?

— Les prix sont beaucoup plus élevés.

— Vos marges dans les dépan… dans les…

— Oui. Les marges sont plus élevées, parce qu’il faut payer des salaires beaucoup plus élevés. 25 $ de l’heure en Norvège, un employé, dans un magasin.

Gérald Fillion — Donc, de ce que vous avez vu, est-ce que vous pensez qu’on devrait s’inspirer de ça au Québec, notamment dans le rapport entre les syndicats et le patronat.

Alain Bouchard — Si le modèle pouvait fonctionner, peut-être. Mais ça prendrait un accord global, nord-américain, comme le libre-échange. Parce que c’est impossible, nous, comme îlot, au Québec, faire ça. Parce que là, les gens traversent les ponts pour aller payer 2 ¢ le litre moins cher dans une autre province, ou au États-Unis.

— Donc, il y a une pression sur les prix qui est très forte.

— Bien oui. Alors les gens parlent avec leurs pieds. Ils vont se déplacer.

Gérald Fillion — Dans le débat sur le salaire minimum à 15 $, vous avez dit : « Bien. Êtes-vous prêts, justement, à payer vos cafés plus chers, si vous voulez qu’on monte à 15 $, vous dites, vous seriez d’accord mais il faudrait tout monter. » Mais est-ce que ça voudrait dire que si on montait le salaire minimum assez rapidement au Québec à 15 $, est-ce que vous seriez obligé de fermer des installations.

Alain Bouchard — Je le sais pas, ça, ça dépend de la réaction des consommateurs et des autres provinces et des États-Unis. Je pense pas que eux augmenteraient immédiatement, ça peut prendre du temps. Sur une période allongée, si d’autres suivaient, adoptaient le même genre de politiques, je pense que ça pourrait être vivable. Le problème, c’est l’inflation que ça crée. Parce que rien ne se perd, rien ne se crée. Il y a quelqu’un qui va payer pour ça. C’est le consommateur, en bout de ligne.

Alain Bouchard, contre vents et marées

2016-10-18
Gérald Fillion, RDI Économie, Radio-Canada

Alain Bouchard n'a pas la langue dans sa poche. Dans une rare (en fait, une première) entrevue à RDI économie mardi soir, le fondateur de Couche-Tard nous a dit que ce sont les consommateurs qui devraient payer une hausse du salaire minimum à 15 $ l'heure, que les syndicats ont pris trop de place au Québec et qu'il ne serait pas impossible qu'un jour, Couche-Tard achète 7-Eleven!

Alain Bouchard assume. Il a fondé une entreprise qui est aujourd'hui une multinationale, installée dans plus de 24 pays, avec plus de 100 000 employés et 12 500 commerces. Surtout, en 2017, Couche-Tard sera l'entreprise qui génère le plus de revenus au Canada.

Oui, vous avez bien lu : l'an prochain, Couche-Tard sera l'entreprise qui dégagera le plus haut niveau de revenus dans tout le pays avec plus de 50 milliards de dollars, un chiffre d'affaires plus élevé que celui de la RBC, de Suncor ou de Loblaw. N'est-ce pas exceptionnel?

Au sommet!

Un jour d'automne à New York en 2003, Richard Fortin et Alain Bouchard, deux des quatre associés de l'aventure Couche-Tard, attendent dans la Rainbow Ballroom au sommet du Rockefeller Center pour présenter leur plan d'affaires visant à acheter la chaîne Circle K. Encore une fois, les dirigeants de Couche-Tard doivent prouver que leur projet tient la route, que leurs idées de grandeur ne sont pas farfelues, qu'ils méritent pleinement leur financement.

« On était deux petits Québécois maintenant au sommet du monde », raconte Richard Fortin au journaliste Guy Gendron, dans un livre qui paraît ces jours-ci sur l'histoire de l'entreprise et d'Alain Bouchard, son fondateur. Près d'un quart de siècle après avoir acheté son premier dépanneur, Alain Bouchard était prêt à conclure ce qui était alors la plus importante transaction de l'histoire de Couche-Tard. D'autres allaient suivre...

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le livre Couche-Tard ou l'audace de réussir, qui relate la vie d'Alain Bouchard et la construction d'un véritable empire des dépanneurs. Voici l'histoire d'un homme qui a su surmonter la misère familiale, l'échec de son père, les problèmes de santé de sa mère, pour construire, pierre par pierre, à force de travail et de persuasion, Couche-Tard.

Se battre, continuellement

Ce qui me fascine dans ce livre, c'est de constater combien Alain Bouchard a dû se battre toute sa vie pour tailler sa place. Il a fait face au mépris de dirigeants pour qui il travaillait, de banquiers, d'investisseurs, de concurrents. Il a trouvé le moyen de tirer avantage des changements de lois et de réglementations, des taxes qui sont apparues puis disparues, des tournants économiques favorables et défavorables.

Et on a l'impression qu'il a toujours voulu démontrer qu'un « petit » Québécois francophone pouvait réussir, ce qui l'amenait, je pense, à défier les autres, à surprendre ses interlocuteurs en annonçant, par exemple, une expansion à venir au Canada, aux États-Unis puis en Europe.

À propos du Parti québécois, qui arrive au pouvoir en 1976, Alain Bouchard affirme que cet événement représente « un plus grand choc [que la Révolution tranquille] pour donner aux Québécois confiance en eux et leur permettre de croire que c'était possible de monter dans les entreprises ».

La situation socioéconomique des francophones le préoccupe et l'anime. Et c'est pour ça qu'il se sentira blessé lorsqu'on attaquera sa crédibilité et son jugement. Certains diront toutefois qu'il a couru après! En entrevue, je lui ai demandé si la critique et le regard qu'on porte parfois sur son entreprise et sur lui le choquent. « Curieusement, ça me dérange, mais ça me motive, répond-il directement. Je vais vous le montrer, ce qu'on peut faire avec des beaux commerces! »

REA, CSN et Norvège

Deux événements le mettent à l'épreuve. D'abord, en 1986, lorsque Couche-Tard profite du programme REA, le régime d'épargne-actions, à son entrée en bourse. Des journalistes commentateurs diront alors que les dirigeants de Couche-Tard ont bien profité d'un programme gouvernemental pour s'en mettre finalement plein les poches.

Et puis, 25 ans plus tard, celui qui a toujours été fier du faible niveau de roulement dans son entreprise vivra très mal le conflit ouvert avec la CSN. Un vice-président ira jusqu'à dire que Couche-Tard est un employeur pire que Walmart ou McDonald's en matière de relations de travail. La fermeture de certains magasins, où le syndicat tentait de s'installer, laissera un goût amer chez bien des gens.

Mais, depuis, une entente a été conclue avec la CSN et la poussière est retombée. « Avec le recul, dit Alain Bouchard, je pense qu'on a eu besoin des syndicats, que c'était nécessaire pour faire avancer le Québec, pour agir comme contre-pouvoir. »  Il est clair que la réflexion d'Alain Bouchard sur les syndicats a évolué avec la percée de son entreprise en Norvège.

Si, chez nous, un peu plus d'un travailleur sur trois est syndiqué, dans les pays scandinaves, c'est deux sur trois. Alain Bouchard concède qu'il lui a fallu s'ajuster à cette nouvelle situation. Mais il a aussi pu constater que le rapport entre les syndicats et les employeurs en Norvège est différent de ce qu'il est ici. Là-bas, les syndicats participent aux décisions et ont un niveau de responsabilité plus élevé. Les conditions de travail sont également négociées par secteur et non par entreprise, ce qui aide à établir des bases plus égales.

Ce qui est marquant aussi dans ce livre, c'est de voir combien Alain Bouchard aime les dépanneurs. Il a rénové, décoré et réorganisé des tonnes de dépanneurs. Et partout où il a fait des acquisitions, il a tenu à visiter des centaines d'emplacements avant de déposer une offre. Son plaisir? Partir en auto, quelques heures, avec un dirigeant de l'entreprise à acquérir, pour en discuter.

Alors, voilà. Peu importe ce que vous pensez d'Alain Bouchard, je vous invite à lire ce livre pour comprendre l'âme d'un entrepreneur, raconté par un journaliste compétent et juste, qui ne prend pas position dans son ouvrage.

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