L’après-Norbourg inquiète le Robin des banques

24 janvier 2011
Jean-François Cloutier, Agence QMI

L’annonce d’un projet de fonds d’indemnisation pour les victimes de fraude financière est bien perçue par Yves Michaud, le fondateur du Mouvement de défense des actionnaires (MÉDAC).

Cet investisseur activiste bien connu, surnommé le Robin des banques, pense qu’il reste beaucoup de travail à faire. Sans davantage d’actionnaires activistes qui auront le courage de questionner les dirigeants des grandes institutions financières et les planificateurs financiers, tout porte à croire que de nouveaux scandales émergeront tôt ou tard et que des dirigeants continueront à s’enrichir sans scrupules. Le défenseur des petits investisseurs et épargnants a répondu à nos questions.

Question : Avec le départ récent de Jean St-Gelais de l’Autorité des marchés financiers (AMF), le règlement du dossier Norbourg et l’annonce d’un projet de fonds d’indemnisation pour les victimes de fraude financière, on a un peu l’impression qu’une page se tourne dans le monde du placement québécois. Qu’est-ce que ça vous inspire?

Réponse (Yves Michaud) : Je constate qu’on a repris certaines des idées qu’on avançait au  MÉDAC depuis longtemps. Dès 2006, on avait écrit un mémoire en faveur de la création d’un fonds universel pour les victimes de fraude. C’est un pas dans la bonne direction. En même temps, les mesures envisagées cette semaine négligent un aspect crucial, celui de la formation des petits épargnants. Nous avons formé au MÉDAC près de 800 personnes en donnant des cours d’éducation financière à l’UQAM, mais ça reste une infime partie de toute la population. Tant qu’on n’aura pas des gens mieux informés des réalités de la finance, on ne sera jamais parfaitement équipés pour composer avec les dangers qui guettent les investisseurs.

Q. Quelles mesures supplémentaires faudrait-il prendre?

R. Il faudrait songer à informer les cégépiens des fondements des marchés financiers. En d’autres termes, donner aux jeunes un cours d’éducation aux marchés financiers. Dans mon temps, on nous donnait les données de bases pour penser. On nous enseignait le grec, le latin, on nous faisait lire les grands penseurs classiques et cela nous permettait de faire notre chemin dans des situations diverses. Les jeunes d’aujourd’hui vont plutôt à l’école de l’« idio-visuel ». Or, les produits financiers sont aujourd’hui infiniment plus complexes que ce qu’ils étaient il y a 50 ans. Prenez le PCAA. On parle d’un produit dont la valeur dépend parfois d’hypothèques de 3e rang sur des aéroports en Angleterre. Il ne s’agit plus simplement de placer son argent à la banque et toucher 3 ou 4 %. Il faut savoir ce qu’est une action, une obligation, etc. Gérer ses affaires est une des grandes tâches de la vie.

Q. Avez-vous l’impression que l’Autorité des marchés a tiré les leçons de l’affaire Norbourg? Encore récemment, d’autres dossiers comme l’affaire Morinville, Raymor, Biosyntech ne sont-ils pas venus obscurcir le bilan de l’AMF?

R. Il y a eu une époque au Québec où la Commission des valeurs mobilières (l’ancêtre de l’AMF) avait quatre inspecteurs. L’AMF a aujourd’hui 120 inspecteurs. Peut-être qu’il en faudrait 300. Cent inspecteurs, ce n’est pas tant que ça pour réglementer toutes les transactions financières. L’univers de la finance est marqué par beaucoup d’escroquerie. Vous n’avez qu’à prendre les paradis fiscaux, un des plus grands scandales financiers. L’ancien premier ministre du pays lui-même, Paul Martin, a utilisé ces paradis quand il dirigeait la Canada Steamship Lines.

Q. Vous n’êtes plus président du MÉDAC, mais vous siégez encore à son conseil d’administration. Quel bilan tirez-vous du travail du MÉDAC?

R. Nous avons connu de grandes victoires. J’ai été le premier au Canada à demander le droit pour les petites actionnaires de formuler des propositions aux assemblées annuelles d’entreprises. Le jugement Rayle en 1997 a été un acte fondateur pour le MÉDAC et la démocratie actionnariale. J’estime avoir brassé la cage lors de plusieurs assemblées annuelles, dont celles de Power Corporation. En même temps, il faut être réaliste. Nous avons un budget annuel de 80 000 $. Tous nos responsables sont bénévoles. Nous n’avons pas les moyens d’envoyer des gens aux assemblées à Edmonton ou à Toronto, comme il faudrait.Q. Il faudrait renforcer le MÉDAC?

R. Il faudrait peut-être que le MÉDAC reçoive une partie de l’argent qu’on veut prélever pour financer le futur fonds d’indemnisation des victimes de fraude, disons 8 ou 9 millions par année. Avec ces moyens, on entrerait vraiment dans les ligues majeures. On pourrait publier des rapports, faire des enquêtes, révéler quels sont les produits risqués. Le MÉDAC pourrait devenir une véritable Association de protection des investisseurs, sur le même modèle que l’Association de protection des consommateurs, qui dispose d’un financement récurrent.

Q. Vous parlez de victoires. N’y a-t-il pas eu aussi des défaites depuis 15 ans?

R. Malgré 15 ans de lutte, je ne suis pas parvenu à discipliner les grandes banques canadiennes sur les salaires stratosphériques, himalayens qu’elles versent à leurs dirigeants. Imaginez, le grand patron de la Banque Nationale a reçu 6 millions $ l’an dernier. 6 millions $! Il n’y a pas un homme assez intelligent au monde pour valoir ça! Mais faire adopter une proposition à une assemblée, c’est comme escalader l’Himalaya. Le jour où cent actionnaires se lèveront à une assemblée annuelle, peut-être parviendra-t-on à faire changer les choses.

Q. Ne craignez-vous pas qu’en vous retirant, justement, le MÉDAC perde son attitude frondeuse?

R. Il faut être cascadeur pour intervenir dans une assemblée, être capable de soutenir le mépris, le dégoût, la haine qui se lit dans les yeux des dirigeants. Il ne faut pas se laisser intimider et se rappeler que ce sont les actionnaires qui sont les propriétaires de l’entreprise. Ce n’est pas donné à tout le monde. Q. Le MÉDAC est engagé dans une longue bataille avec Power Corporation afin d’obtenir la divulgation des états financiers de sa filiale Gesca, propriétaire notamment de « La Presse ». Êtes-vous déçu de la tournure des événements? R. On a gagné la première manche. La Cour supérieure et la Cour d’appel nous ont donné raison. Power disait dans un premier temps que la divulgation des résultats, selon le principe prévu dans la loi canadienne, ne s’appliquait pas à toutes les filiales et sous-filiales d’une société. Le fardeau de la preuve est maintenant du côté de Power Corporation qui doit démontrer que la divulgation des résultats de Gesca causerait préjudice à sa situation concurrentielle. C’est un long combat. Mais malheureusement, comme disent les Anglais, j’ai un peu l’impression que « Justice delayed is justice denied. »

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