Chez Warren Buffett, le dividende ne passera pas

2014-03-18
Stéphane Lauer, Le Monde (New York, correspondant)

Berkshire Hathaway n’est décidément pas une entreprise comme les autres. Une nouvelle fois, la holding du célèbre investisseur américain Warren Buffett se distingue par des pratiques de gouvernance qui détonnent par rapport à celles de groupes de taille similaire. La lecture du document d’information envoyé aux actionnaires, vendredi 14 mars, en vue de l’assemblée générale du 3 mai est, de ce point de vue, un régal.

On y apprend par exemple que l’un des administrateurs du groupe, Bill Gates, fondateur de Microsoft, aura droit cette année à un petit coup de pouce de 300 dollars (215 euros) au titre de sa participation par téléphone à une réunion extraordinaire du conseil. Cela représente tout de même une augmentation de 14 % par rapport au 2 100 dollars de jetons annuels touchés par lui et ses pairs, en 2013. À titre de comparaison, la moyenne des sommes versées en 2012 aux administrateurs des 500 plus grosses entreprises américaines s’est élevée à 168 270 dollars, en hausse de 30 % depuis 2008. Chez Berkshire Hathaway, hormis les conférences téléphoniques impromptues, cela ne varie pas.

Sur la rémunération du conseil, M. Buffett a toute une théorie. Il estime que des administrateurs trop grassement payés ont tendance à se montrer moins vigilants sur la conduite de l’entreprise qu’ils sont censés superviser. Critiquer la stratégie, jouer les empêcheurs de tourner en rond, c’est prendre le risque de ne plus faire partie du club au terme de son mandat et ainsi renoncer à de confortables avantages. À regarder le fonctionnement d’un certain nombre de conseils, on ne peut pas lui donner totalement tort.

M. Gates, qui vient de retrouver son rang d’homme le plus riche de la planète (76 milliards de dollars de patrimoine, selon le classement établi par le magazine Forbes), n’est pas un administrateur ordinaire : M. Buffett s’est engagé, à sa mort, à léguer plus de 80 % de sa fortune à la Fondation Bill & Melinda Gates. N’empêche, s’il suffisait d’être riche pour ne pas en vouloir un peu plus, cela se saurait.

LE VERSEMENT D’UN DIVIDENDE RÉCLAMÉ

M. Buffett n’est pas non plus du style à se payer sur la bête. Certes, en tant que quatrième du même classement Forbes, avec une fortune de 58,2 milliards, il n’en a pas vraiment besoin. Mais un peu d’honnêteté ne nuit pas. Cette année, la rémunération du patron de Berkshire Hathaway s’est élevée à… 485 606 dollars, soit une hausse de 15 % par rapport à 2012 – à noter que le bénéfice du groupe, lui, a progressé de 31 %.

Cette somme comprend pour l’essentiel des prestations concernant la sécurité personnelle du milliardaire et de sa résidence. Son salaire, en revanche, a été fixé, pour une durée de vingt-cinq ans, à 100 000 dollars, tout comme celui du vice-président du groupe, Charles Munger. M. Buffett pousse la transparence jusqu’à indiquer le montant de ses dépenses personnelles (téléphone, affranchissement, etc.) qu’il a remboursées à sa société. Celles-ci ont atteint 50 000 dollars en 2013.

Cette façon de gérer comme une PME une entreprise dont la capitalisation vient de dépasser pour la première fois 300 milliards de dollars, a quelque chose de rafraîchissant. Pourtant, elle ne fait pas que des heureux. Malgré un retour sur investissement moyen de 20 % par an, certains actionnaires réclament cette année le versement d’un dividende. Les dividendes, M. Buffett les aime bien dans les sociétés qu’il rachète, mais, chez lui, cela reste un gros mot. En 49 ans d’existence, Berkshire Hathaway n’en a jamais versés, considérant qu’il a mieux à faire de son cash en l’investissant dans d’autres entreprises.

Mais les 40 milliards de trésorerie accumulés dans les caisses du groupe suscitent les convoitises. Un petit actionnaire, David Witt, vient, dans la perspective de l’assemblée générale, de déposer une résolution dans laquelle il réclame le versement d’un dividende « étant donné que la société a plus d’argent qu’elle n’en a besoin et que les actionnaires ne sont pas, contrairement à Warren, multimilliardaires ». Le conseil s’est opposé à l’unanimité à la résolution, qui sera soumise au vote le 3 mai. On peut prendre le pari, sans trop de risque, qu’en matière de dividende, comme pour le reste, Berkshire Hathaway continuera à cultiver sa différence, quitte à faire le bonheur de ses actionnaires malgré eux.

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