Yves Michaud, un militant dans l’âme
18 février 2014
Jean-François Venne, Conseiller.ca
Il y a près de 20 ans déjà qu’Yves Michaud milite pour les droits des petits actionnaires. L’aventure lui a valu le surnom de « Robin des banques », et l’inimitié de bien des dirigeants d’entreprises cotées en Bourse. Conseiller.ca en a discuté avec lui, à l’occasion du lancement d’un livre sur sa vie.
« Point n’est nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » Il a beau être militant souverainiste de longue date, Yves Michaud admet s’inspirer largement de cette maxime attribuée à Guillaume d’Orange, ancien roi d’Angleterre, qui avait conquis son trône aux dépens de Jacques Stuart, un roi catholique soutenu par la France. C’est qu’elle convient bien à cet « irréductible », comme le qualifie Jacques Lanctôt, auteur du livre Yves Michaud, Un diable d’homme! publié récemment chez VLB éditeur.
Habitué d’entreprendre les combats qui lui semblent justes, sans égard à ses chances de succès, Yves Michaud est un militant dans l’âme. On l’a surtout retrouvé du côté de la défense de la langue française et de la souveraineté du Québec. Diplômé de journalisme, il a été député du Parti libéral du Québec (qu’il quittera au début des années 1970 pour rejoindre le Parti Québécois) et a dirigé le défunt quotidien La Patrie et le très souverainiste journal Le Jour, en plus d’occuper de nombreux postes dans la diplomatie québécoise.
Avec un tel profil, comment donc s’est-il retrouvé mêlé à un furieux combat contre les dirigeants des grandes institutions financières?
Les origines de la colère
Yves Michaud se souvient très bien de l’événement qui l’a lancé dans cette campagne pour la défense des petits actionnaires. C’était en 1993. « Un matin, en regardant le relevé mensuel de ce qui était alors la firme Lévesque Beaubien, je vois que le montant de 60 000 $ que leur avait confié ma femme, en leur précisant bien qu’elle voulait des placements peu risqués, n’est pas disponible. » De fil en aiguille, il apprend que la somme a été investie dans Trustco général du Canada, dont l’Industrielle Alliance était propriétaire, et qui était dirigé par l’ancien ministre des Finances du Québec, Raymond Garneau. Ébranlée par la chute des prix de l’immobilier, la société est alors incapable d’honorer ses débentures. En d’autres termes, les 60 000 $ ont disparu.
Pourtant, la compagnie claironnait, à peine trois mois plus tôt, son retour à la rentabilité. Une fois les actifs liquidés, l’Industrielle Alliance et Lévesque Beaubien se font rembourser en priorité. Les petits actionnaires, eux, sont abandonnés. Scandalisé, Yves Michaud réclame une enquête, alléguant plusieurs irrégularités. Il se porte aussi acquéreur des débentures de sa femme. Cela l’autorise à faire part de ses doléances directement aux dirigeants sur le parquet de l’assemblée des actionnaires. Mais il constate bien vite que ceux-ci n’ont que faire de l’opinion des petits épargnants.
Pas question pour lui d’en rester là. « Comme journaliste, on aime bien aller au fond des choses, dit-il. Mais quand on va au fond des choses, souvent, on y reste! » Il y restera, en fondant en 1995 l’Association de protection des épargnants et investisseurs du Québec, laquelle deviendra en 2005 le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).
Des actionnaires timides
Yves Michaud soutient avoir découvert, en explorant l’univers de la finance, un monde « en partie pestilentiel », où les dirigeants se consacrent à leur propre enrichissement en se négociant des salaires et des bonis faramineux, et jouent allègrement avec l’argent des petits épargnants. « C’est toujours comme ça aujourd’hui, déplore-t-il. Je n’ai fait que déchirer légèrement le voile. »
Mais pourquoi les petits actionnaires ne se rebellent-ils pas? Après tout, ce sont eux les propriétaires, tandis que les dirigeants sont censés veiller à leurs intérêts. Tout au long de son combat, Yves Michaud a constaté à quel point il était difficile aux petits investisseurs de comprendre qu’ils avaient des droits et qu’ils pouvaient les exercer. Selon lui, ils manquent souvent de connaissances quant au fonctionnement de l’économie de marché, ce qui en fait des proies faciles pour les pros de la finance. Mais ils sont aussi intimidés. « Vous lever pour vous plaindre dans une assemblée regroupant 500 actionnaires, et où les dirigeants vous toisent avec mépris, ce n’est pas facile pour les petits épargnants. Les dirigeants le savent bien et en profitent. »
Jacques Lanctôt rappelle d’ailleurs la réception glaciale à laquelle Yves Michaud a eu droit lorsqu’il s’est pointé, en 1998, à une assemblée de la CIBC, à Toronto, pour réclamer (en français svp!), plus de démocratie, un meilleur contrôle sur les salaires des dirigeants et la création d’un protecteur de la clientèle indépendant.
La « démocratie actionnariale »
On touche là au cœur même du combat d’Yves Michaud : l’avènement d’une réelle « démocratie actionnariale ». Celui que le journaliste judiciaire de La Presse, Yves Boisvert, a surnommé le « Robin des banques » (un surnom qui lui est resté), s’est battu pour que les actionnaires puissent faire des propositions lors des assemblées générales, et que celles-ci soient réellement prises en compte par les dirigeants et présentées à l’avance à tous les actionnaires.
Cela peut sembler naturel. Pourtant, il se retrouve vite devant une batterie d’avocats lorsqu’il tente le coup comme actionnaire de la Banque Royale, de la Banque Nationale et de la Banque Scotia. Le message est clair, et les barricades sont dressées.
Malgré tout, le militant solitaire aura gain de cause. En 1997, la juge Pierrette Rayle tranche en sa faveur en Cour supérieure. Elle ordonne à la Banque Royale et à la Banque Nationale « d’inclure les propositions et les notes explicatives du requérant (…) dans la circulaire de direction accompagnant l’avis de convocation des prochaines assemblées générales ». Les banques interjettent appel, mais sont déboutées. Une victoire qui fait date dans la très courte histoire de la démocratie actionnariale.
Il reste bien du chemin à parcourir, mais Yves Michaud rappelle que certaines des propositions du MÉDAC, appelant à plus de transparence et de démocratie, reçoivent régulièrement de 20 à 25 % d’appui dans les assemblées générales. Le mouvement est amorcé. Reste aux petits actionnaires à se prendre en main et à imposer leurs vues.
Lanctôt, Jacques. 2013. Yves Michaud, Un diable d’homme! Montréal : VLB éditeur, 285 pages
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