Course contre la montre à Francfort pour installer le « gendarme » des banques
La BCE recrute 1 000 personnes pour surveiller les établissements à compter de novembre 2014
LE MONDE | 17.12.2013 à 11 h 35 |
Par Marie Charrel
L’INQUIÉTUDE DE MARIO DRAGHI
Le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, s’est montré, lundi 16 décembre, très critique sur les discussions en cours entre les États européens, la Commission européenne et la BCE sur le futur dispositif de résolution des crises bancaires. « Je crains que la prise de décision soit trop complexe et que le système de financement ne soit pas approprié », a déclaré M. Draghi devant le Parlement européen à Bruxelles, à la veille d’une réunion des ministres des Finances. « Nous ne devons pas créer un mécanisme unique de résolution des crises qui n’ait d’unique que le nom », a-t-il ajouté.
Danièle Nouy, actuelle secrétaire générale de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), l’organisme surveillant les banques et assurances françaises, prendra la tête du Mécanisme de supervision unique (MSU) des banques de la zone euro, le 1er janvier 2014. Une nomination actée, lundi 16 décembre, par le Conseil représentant les États européens, puis annoncée par la Banque centrale européenne (BCE), qui « chapeautera », à partir de novembre 2014, la supervision bancaire.
La tâche s’annonce titanesque. Du côté de Francfort, certains soufflent même : presque insurmontable. Le « MSU » constitue le premier pilier de l’union bancaire, aux côtés du mécanisme de résolution des établissements en faillite et du fonds de garantie des dépôts.
La BCE surveillera les 128 plus grosses banques de la zone euro – mais aussi des petits établissements qu’elle jugera représenter un risque systémique. Elle pourra imposer aux mauvais élèves de renforcer leurs ratios de liquidités ou de capitaux propres. Voire, dans les cas extrêmes, retirer la licence bancaire. « C’est la menace suprême qui fait trembler tous les établissements », commente Nicolas Véron, du think tank bruxellois Bruegel.
ÉVALUATION DES BILANS DES BANQUES
Auparavant, la BCE va, courant 2014, mener un grand « check-up » des banques, avec une évaluation rigoureuse de leurs bilans. Préalable indispensable pour s’assurer qu’aucune mauvaise surprise ne l’attend. « C’est un chantier énorme, nous mettrons tout en œuvre pour qu’il soit mené sans concession », confiait, le 16 novembre, au Monde.fr, Peter Praet, membre du directoire de la BCE.
L’institution joue là sa réputation. La dernière fois que l’Europe a évalué ses banques, l’opération s’est révélée un fiasco. Les « tests de résistance » menés par l’Autorité bancaire européenne en 2010 et 2011 échouèrent à détecter les problèmes des établissements irlandais et grecs, sur le point d’exploser. « Après ce regrettable précédent, la BCE n’a pas droit à l’erreur, prévient Charles Wyplosz, de l’Institut des hautes études de Genève. Elle doit sortir tous les cadavres des placards si elle veut devenir un superviseur crédible. » Sur ce dossier, elle part de zéro. Tout est à construire, et cela en moins d’un an. À commencer par les équipes.
Auprès de Mme Nouy, il y aura un vice-président, quatre représentants de la BCE et un membre de chacun des dix-sept régulateurs nationaux. Aucun d’eux n’est encore nommé. « Cela traîne un peu », s’agace un député européen.
Le chantier avance un peu plus vite du côté des opérationnels. Au total, près de 1 000 personnes seront recrutées d’ici à fin 2014 : 200 pour les fonctions support (informatique, juridique, traduction), 750 pour effectuer les contrôles sur pièce et sur place des banques (spécialistes des risques, experts en décryptage des bilans, analystes). Ces profils existent chez les régulateurs nationaux, comme l’ACP en France. C’est là que le futur superviseur piochera le gros de ses troupes. « Ça va être l’hémorragie », grogne-t-on chez un superviseur d’Europe du Sud. « Oui, mais il faut y envoyer un maximum de monde, pour imprimer notre marque », glisse-t-on chez un autre, plus au nord.
« OÙ SE CACHENT LES LOUPS »
À la BaFin, le gendarme financier allemand, on aimerait bien que le MSU fonctionne « à l’allemande », comme la BCE à ses débuts, imprégnée des codes de la Bundesbank, la banque centrale allemande. « Nous veillerons à ce qu’aucun intérêt national ne prime, rétorque-t-on à la BCE. Tout comme nous éviterons autant que possible d’envoyer des contrôleurs belges dans les établissements bruxellois. »
Mais le MSU ira aussi chercher des gestionnaires de risque et autres experts en produits financiers complexes au sein… des banques. « Ces recrues-là seront bien placées pour savoir où se cachent les loups », sourit un fonctionnaire européen. Les salaires s’étaleront de 45 000 à 100 000 euros annuels pour les plus capés. Les contrats seront, pour commencer, de trois ans pour les collaborateurs à cinq ans pour les managers.
Les nouvelles équipes s’installeront dans la tour de la BCE, à Francfort, début 2014, le reste du personnel de la Banque centrale déménageant dans de nouveaux locaux, situés sur l’ancien marché de gros, non loin de là. Une séparation qui, dit-on, évitera le mélange des genres. « Si tout va bien, le MSU rétablira enfin la confiance dans le système bancaire européen », conclut M. Véron.