Vive Yves Michaud!
Pour une critique raisonnable du capitalisme
5 avril 2012
Mathieu Bock-Côté, Le blogue de… (Journal de Montréal)
Yves Michaud est un homme indispensable. Pour sa croisade en faveur de la langue française, bien évidemment. Mais aussi pour la qualité du procès qu’il mène contre les dérives du capitalisme contemporain. Michaud nous rappelle régulièrement une chose : pour bien réguler le capitalisme, il faut d’abord le remoraliser. Le critiquer à la lumière d’une décence élémentaire qu’il ne semble plus respecter. Car avant d’être injuste, comme le disent les gens de gauche, il faut rappeler que le capitalisme mondialisé est devenu tout simplement indécent. Il heurte notre sens moral le plus élémentaire. C’est probablement pour cela que tant de gens se sont reconnus, d’une certaine manière, dans la révolte des Indignés, même s’ils se sentaient étrangers au folklore gauchiste qu’ils mettaient de l’avant.
Aujourd’hui, Yves Michaud est allé perturber, comme on dit, l’assemblée de la Banque nationale qui vient d’octroyer un salaire de 8,5 millions à son grand patron, Louis Vachon. L’augmentation est significative : l’année précédente, Vachon ne gagnait que 5,7 millions! Pauvre homme! Il fallait corriger cela! De toute urgence! Et significativement! On trouve ici un compte rendu de la journée. Mais comment justifier cette « correction » de la rémunération de ce monsieur? En référant à la mondialisation, bien évidemment. La Banque nationale veut jouer dans les grandes ligues du capitalisme et veut payer ses dirigeants en conséquence! Je cite la BN : « Les membres du Conseil ont jugé qu’il ne serait pas dans l’intérêt à long terme de la Banque, eu égard notamment à sa capacité d’attirer les meilleurs candidats, de maintenir la rémunération de son plus haut dirigeant au bas de l’échelle de son groupe de référence ».
Je traduis pour le commun des mortels : la nation n’est plus un espace de référence légitime. Ce n’est plus un espace qui fait sens, économiquement parlant. Jouer dans les grandes ligues mondialisées, cela veut dire ne plus se sentir exagérément bridé par la société québécoise. Michaud compare le salaire de Vachon à celui de Michael Sabia, qui dirige la Caisse de dépôt et à celui de Jean Charest, premier ministre du Québec. Et se demande comment expliquer la disproportion considérable entre le salaire du premier et celui des deux autres. Je retiens une chose : le capitalisme mondialisé fait perdre à ses acteurs le sens des proportions. C’est sa démesure qui l’amène à perdre le sens du long terme et à dissoudre la réalité dans la seule logique du profit qui trouve son pendant dans le consumérisme.
La crise de la mondialisation, actuellement, révèle justement les limites du capitalisme sans-frontières, nomadisé, oligarchique, qui neutralise les souverainetés nationales, marchandise les identités, liquéfie les tabous, déculture les élites et ravage la culture populaire à l’aide du marketing publicitaire. Lorsque le capitalisme ne se reconnaît plus de limites et marchandise l’intégralité de l’existence humaine, il déshumanise l’existence. J’ajouterais que le capitalisme mondialisé est bien infidèle à ses premiers théoriciens. Adam Smith ne se reconnaîtrait pas dans le monde contemporain, lui qui rappelait que l’économie de marché n’avait de sens qu’à l’intérieur d’une société ayant intériorisé de profondes règles morales irriguant ensuite la culture et les comportements individuels.
Cela ne veut pas dire qu’il faut sortir du capitalisme. Bien sûr que non. Nous ne connaissons pas de meilleur système pour créer de la richesse, pour favoriser l’innovation technologique et économique. Pour une raison simple : l’économie de marché contribue à la maximisation de la créativité individuelle en reconnaissant à chacun la maîtrise de son propre destin. Le capitalisme est un véritable libérateur des énergies collectives. Et nous savons depuis le 20e siècle où nous mènent les utopies collectivistes d’inspiration marxistes.
Mais cela veut dire que le capitalisme doit se réinscrire dans un univers de sens à échelle humaine. Un univers de sens qui respecte les peuples, qui respecte le politique, qui ne transgresse pas le sens commun, qui ne relativise pas exagérément la morale et qui ne constitue pas une oligarchie planétaire de dirigeants sans patrie ni culture, seulement obsédés par leur propre enrichissement. De ce point de vue, le capitalisme devra tôt ou tard s’affranchir de l’hypermondialisation et redécouvrir les exigences de ce qu’on appelle le nationalisme économique. C’est probablement en ce sens que plusieurs, aujourd’hui, ouvrent une réflexion sur la « démondialisation ». Pour utiliser un vocabulaire qui n’est plus celui de notre époque, je dirais qu’un bon capitaliste n’est pas d’abord un capitaliste, mais un citoyen enraciné.
Je pourrais résumer le tout bien simplement : c’est bien mal servir le capitalisme que de le défendre sans nuances. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas critiquer les dérives bureaucratiques de l’État-providence. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être sévère envers les corporatismes technocratiques et syndicaux. Mais cela veut dire que cette critique doit être équilibrée, pour ne pas oublier que les dérives du marché planétaire ne valent guère mieux que les dérives de la social-démocratie tentaculaire. Ceux qui croient à l’économie de marché, et j’en suis, devraient être les premiers à dénoncer ses dérives.