Les grandes banques sommées de traquer les évadés fiscaux américains
2012-04-04
Anne Michel, Le Monde
Barack Obama a signé le 18 mars 2010 une nouvelle législation fiscale américaine, applicable à compter du 1er janvier 2013 par toutes les banques étrangères.
F-A-T-C-A. Cinq lettres qui sèment le trouble dans le secteur bancaire mondial et créent des désordres diplomatiques entre les Etats-Unis et le reste du monde.
Elles sont l’acronyme d’une nouvelle législation fiscale américaine - le Foreign Account Tax Compliance act - signée le 18 mars 2010 par le président Barack Obama, et applicable à compter du 1er janvier 2013 par toutes les banques étrangères.
Ce texte extraterritorial - il s’impose hors du territoire américain à des groupes non américains -, organise une véritable révolution fiscale. Il contraint les banques, partout dans le monde, à traquer les fraudeurs au fisc américain dans la totalité de leurs filiales et à les sanctionner pour le compte de l’administration fiscale des Etats-Unis.
"C’est totalement inédit!, relève le patron d’une grande banque française. Des institutions non américaines vont se trouver directement associées à la lutte contre l’évasion fiscale aux Etats-Unis!" "Nous n’avons pas le choix, poursuit ce dirigeant. Si nous n’appliquons pas la loi, nous risquons des mesures de rétorsion sur nos activités aux Etats-Unis."
Concrètement, les institutions auront obligation d’identifier ceux de leurs clients qui possèdent la nationalité américaine, ou qui auraient un lien, actuel ou passé, avec les Etats-Unis. Elles devront exercer une surveillance active des comptes, dès lors que ceux-ci affichent plus de 50 000 dollars (37 900 euros), et "approfondie" au-delà du million.
Le moindre "indice" d’américanité devra être étudié. Après avoir recherché la "citoyenneté américaine", les banques devront aussi regarder si : les clients ne sont pas nés aux Etats-Unis; s’ils n’y ont jamais mentionné une adresse de résidence, de correspondance ou de poste restante, ou même un numéro de téléphone; s’ils n’ont jamais transmis d’instruction de virement vers un compte aux Etats-Unis ou s’ils n’ont jamais donné mandat ou pouvoir à une personne ayant un lien avec les Etats-Unis.
Les clients fichés par erreur devront "apporter la preuve qu’ils ne sont pas américains", dit Fatca. Quant aux citoyens américains, ils devront justifier de toutes leurs transactions. Les informations nominatives seront alors transmises à l’autorité fiscale américaine, l’Internal revenue service (IRS).
Faute de documents probants permettant de le faire, il reviendra aux banques d’opérer une "retenue punitive de 30 % sur les transactions" non justifiées.
COÛT DE LA RÉFORME
"C’est l’une des plus importantes réformes des prochaines années", soulignent les experts juridiques du cabinet de conseil et d’audit Deloitte à Paris. Les contrôles pourront être mis en oeuvre progressivement, d’ici à 2017.
En France, le coût de la réforme, qui suppose d’adapter les systèmes informatiques, est estimé à 200 millions d’euros au bas mot pour chacun des grands réseaux bancaires (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, BPCE, etc.). Ce chiffre est confirmé, en privé, par plusieurs banques.
La réforme américaine s’inscrit dans un contexte mondial de renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale, de la part d’Etats endettés, en quête de rentrées fiscales.
Les Etats-Unis ont toujours taxé leurs résidents à l’étranger comme des résidents américains. L’impôt payé dans le pays de résidence est déduit de l’impôt américain. L’impôt total équivaut à celui qui aurait dû être payé aux Etats-Unis. Mais les citoyens américains ne se déclarent pas spontanément. D’où la loi Fatca.
Mal à l’aise à l’idée de traiter directement avec le fisc américain - ce qui pourrait contrevenir à certaines lois, comme la loi sur la protection des données personnelles en France -, les banques ont saisi leurs gouvernements.
La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne ont engagé une négociation avec les Etats-Unis, afin que les données et les instructions transitent entre administrations fiscales. Une façon pour les banques de se placer sous le parapluie des Etats.
Anne Michel Sarkozy et Hollande veulent taxer les exilés fiscaux
La France aura-t-elle sa loi Fatca? Nicolas Sarkozy et François Hollande ont annoncé des projets de taxation des exilés fiscaux : le premier promet "un impôt lié à la nationalité", le second veut taxer la fortune des exilés en Suisse, Belgique et au Luxembourg. Il s’agit dans les deux cas d’une révolution fiscale : à ce jour, l’impôt est dû dans le pays de résidence. Dans l’attente, un décret sera bientôt publié, qui créera "l’exit tax", voulue par le gouvernement pour taxer les plus-values réalisées en France, mais exercées à l’étranger par les exilés fiscaux.