Les « multivotantes » sous la loupe

23 juin 2010
Martin Vallières, La Presse

(Montréal) Un élément controversé du marché boursier au Canada se retrouvera aujourd’hui sous la loupe du plus influent gendarme boursier au pays, à Toronto.

Il s’agit des actions à votes multiples dont bénéficient les dirigeants de plusieurs grandes entreprises cotées en Bourse.

En particulier au Québec, où ces actions « multivotantes » ont permis à plusieurs familles entrepreneuriales comme les Desmarais, Péladeau, Bombardier, Coutu, notamment, de préserver le contrôle de leurs entreprises malgré leur forte croissance en Bourse.

Aujourd’hui, la Commission de valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) tient une audience extraordinaire sur le plan de rachat pour 863 millions de dollars des actions à votes multiples détenues par Frank Stronach, le fondateur de Magna, le géant ontarien des pièces automobiles.

Qu’est-ce qui agace la CVMO? D’autant que les actionnaires de Magna doivent voter sur ce plan lors d’une assemblée extraordinaire, la semaine prochaine, et que le conseil d’administration de Magna s’est abstenu d’une recommandation de vote.

D’une part, la CVMO estime que Magna n’a pas divulgué suffisamment d’informations à ses actionnaires jusqu’à maintenant à propos d’un rachat d’actions à votes multiples d’une ampleur sans précédent.

Le rachat convenu à 863 millions comprend une part de comptant de 300 millions. Mais, il inclut aussi un mélange complexe de nouvelles actions à vote simple émises par Magna, de certains actifs d’affaires cédés à la famille Stronach ainsi que le prolongement du contrat de consultation en gestion de Frank Stronach qui lui vaut déjà des millions de dollars par an en honoraires.

Par ailleurs, la CVMO a décidé de tenir une audience extraordinaire après que les investisseurs institutionnels les plus influents au Canada, dont Teachers’, OMERS et l’Office d’investissement du régime de retraite du Canada, se furent ralliés publiquement contre les termes du rachat concocté au conseil d’administration de Magna.

À leur avis, ce rachat dans ses termes actuels serait beaucoup trop avantageux pour Frank Stronach et sa famille au détriment de l’ensemble des actionnaires de Magna.

Et ce, malgré l’intérêt pour tous d’éliminer du capital de l’entreprise ces actions à 300 votes chacune détenues par la famille Stronach.

Protéger sa majorité

De l’avis d’analystes, cette structure très particulière du capital-actions de Magna nuit à la juste évaluation boursière de l’entreprise depuis des années.

Avec les actions à votes multiples, les dirigeants d’entreprise — souvent les fondateurs ou leurs descendants — préservent leur majorité des votes en assemblée annuelle et au conseil d’administration même si leur part du capital-actions total a été largement diluée au fil de la croissance de l’entreprise.

Par ailleurs, parmi les principales régions d’affaires au Canada, c’est au Québec que les actions à votes multiples demeurent les plus fréquentes parmi les grandes entreprises.

[…]

« Ce type d’actions sont détenues par les dirigeants de nombreuses entreprises qui sont devenues des fleurons d’affaires au Québec. En contrepartie, ces actions à votes multiples sont de plus en plus contraires aux droits des actionnaires minoritaires de ces entreprises », explique Louise Champoux-Paillé, une directrice du MEDAC, le principal regroupement d’actionnaires militants au Québec.

Avec ses propositions lors d’assemblées d’actionnaires, le MEDAC a souvent dû composer avec l’opposition des blocs de votes contrôlés par les dirigeants d’entreprises, par l’entremise de leurs actions à votes multiples.

Par ailleurs, malgré ses démarches à Québec, la récente réforme de la loi québécoise sur les compagnies a ignoré toute restriction aux actions à votes multiples.

Entre autres, le MEDAC suggérait que le nombre de votes par action soit plafonné à 4, ce qui serait largement inférieur aux multiples courants de 10 à 20 votes par action.

« C’est sûr que les actions « multivotantes » sont un sujet sensible parmi les dirigeants d’entreprises québécoises cotées en Bourse. Espérons toutefois que la controverse à propos de Magna suscitera la réflexion aussi au Québec », a dit Mme Champoux-Paillé.

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