La commission unique, une menace pour Québec Inc
26 mai 2010
Michel Munger, Argent
La création d’une commission unique des valeurs mobilières au Canada pénalisera les entreprises québécoises en mettant fin à un régime où les règles sont les mêmes dans les provinces. Jean Saint-Gelais, président de l’Autorité des marchés financiers
Plusieurs intervenants consultés mercredi par Argent craignent que la commission prônée par Jim Flaherty, ministre fédéral des Finances, crée un régime à deux ou plusieurs vitesses.
À l’heure actuelle, le régime de « passeport » permet à une entreprise de s’inscrire dans une province et de brasser des affaires dans les autres. Si une province refusait de se joindre à la nouvelle commission, cette harmonisation disparaîtrait.
Jean Saint-Gelais, président de l’Autorité des marchés financiers, croit que l’avant-projet de loi d’Ottawa est silencieux sur ce risque.
« Dorénavant, il y aura une loi fédérale et celles des provinces qui ne participeront pas, avance-t-il. Le Québec pourra-t-il prendre des décisions qui sont bonnes à travers le Canada? Nous ne savons rien là-dessus. »
M. Saint-Gelais évalue l’harmonisation des règles à 97 % à l’heure actuelle. « Rien ne dit que nous pouvons continuer à faire nos affaires de façon harmonisée avec le reste du Canada. »
Louise Champoux-Paillé, secrétaire du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), a été impliquée dans la création du passeport alors qu’elle oeuvrait au Bureau des services financiers.
Elle dit avoir constaté les bienfaits de ce régime. « Ça a augmenté de façon importante l’efficacité [des autorités provinciales]. C’est le système dans lequel l’Ontario n’a pas embarqué. »
Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec, affirme elle aussi que le régime actuel est efficace. « Nous avons bien performé pendant la crise financière, souligne-t-elle. Regardez les juridictions comme les États-Unis, qui ont une seule autorité réglementaire. Ont-elles été capables de bien passer à travers la crise financière? »
La proximité, un atout
Mme Champoux-Paillé souligne que des organismes internationaux appuient ces affirmations. « Une étude publiée par l’OCDE en 2006 a dit que le Canada était le deuxième meilleur pays pour l’efficacité de la réglementation. La Banque mondiale nous a donné le cinquième rang parmi 175 pays pour la protection des investisseurs. Chacune des provinces fait bien son travail. C’est en étant près des épargnants et investisseurs qu’on arrive à les protéger. »
Daniel Paillé, porte-parole du Bloc Québécois en matière de Finances, souligne que l’opposition de l’Alberta à une commission unique a tout à voir avec les avantages de la proximité. « Beaucoup de sociétés sont venues au monde en Alberta. La Bourse de croissance a démarré là. Au Québec, il y a beaucoup de PME. Ces gens-là vont se faire répondre dans quelle langue et où? »
Françoise Bertrand abonde dans ce sens. Pour elle, une commission unique « veut dire la destruction d’un acquis qui a permis un développement économique de grande importance. C’est une autre plume financière perdue par Montréal. C’est vrai aussi pour l’Alberta. Beaucoup d’entreprises sont nées dans la grappe des sables bitumineux. Aurait-on eu la même compréhension et la même rapidité décisionnelle à Toronto? »
Une lutte à suivre
Tous les observateurs questionnés sur le dossier dénoncent que le ministre Flaherty n’écoute pas le milieu des affaires, favorisant sa province au détriment des intérêts des autres.
Daniel Paillé rappelle que c’est Québec Inc qui encaisse une gifle. « Ce que M. Flaherty dit, c’est qu’on se fout de l’opinion des Desmarais, Péladeau, Dutil, Marcoux et de Pierre Lortie. »
Les intervenants entendent poursuivre leur bataille.
Louise Champoux-Paillé, du MÉDAC, prône une réaction citoyenne. « La réponse appartient aux épargnants et investisseurs qui peuvent faire part à leurs députés que le projet est à l’encontre de leur protection. Si on se parle et on se fait entendre, on va y arriver. »
Pour sa part, l’Autorité des marchés financiers entend poser d’autres gestes publics. « Nous allons continuer à démontrer que la création d’une commission unique n’est basée sur aucune étude solide », lance Jean Saint-Gelais.
À Ottawa, le Bloc a l’intention de s’opposer jusqu’au bout. « Ça ne passera pas comme une lettre à la poste, indique Daniel Paillé. Nous utiliserons tous les pouvoirs que nous avons. Nous voulons essayer de convaincre que nous avons un système financier qui fonctionne bien, que les provinces se sont harmonisées et que ça ne sert à rien de briser quelque chose qui fonctionne bien. »