Les actionnaires réclament plus de pouvoirs
19 janvier 2010
Marie-Eve Fournier, Rue Frontenac
Même si les actionnaires des entreprises cotées en Bourse en sont les propriétaires, ils n’ont « à peu près aucun pouvoir », déplore l’ancien président du Mouvement Desjardins et l’actuel président du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), Claude Béland. Un problème que la crise financière a d’ailleurs permis de révéler plus que jamais.
C’est pour cette raison, que deux propositions visant à faire gagner du pouvoir aux actionnaires seront présentées cette année par le MÉDAC à une dizaine d’entreprises lors de leur assemblée annuelle. Une autre proposition de l’organisme concernera la transparence dans la rémunération des hauts dirigeants, a-t-on annoncé en conférence de presse.
Le MÉDAC souhaite que les actionnaires puissent « réellement » élire les membres du conseil d’administration en faisant des choix parmi une liste de plusieurs noms. Une proposition qualifiée de « révolutionnaire » qui n’aurait pas d’équivalent ailleurs dans le monde. « Le système actuel de vote fait en sorte que les actionnaires ne peuvent pas faire un choix. Ils ne font que ratifier les choix du conseil », fait valoir Louise Champoux-Paillé, administratrice de l’organisme fondé par le « Robin des banques », Yves Michaud. Car les organisations présentent toujours un nombre de candidats correspondant exactement au nombre de postes à combler.
Pour qu’il y ait un certain renouvellement et que les membres du conseil se sentent davantage redevables aux actionnaires (leurs électeurs), le MÉDAC suggère donc que les conseils d’administration proposent plus de candidats qu’il n’y a de sièges à pourvoir.
La deuxième proposition demande que les actionnaires puissent se prononcer sur la politique de rémunération des hauts dirigeants. Puisque l’idée a déjà été acceptée l’an dernier par toutes les banques, BCE, Sunlife, Manuvie, Telus et l’Industrielle Alliance, elle ne sera présentée – en 2010 – que chez Bombardier. Et quand la loi le permettra, en 2011 ou 2012, l’idée sera aussi amenée chez Quebecor. Cette année, elle ne sera soulevée qu’au moment de la période des questions, ce qui exclut toute possibilité d’un vote sur le sujet.
Le salaire du PDG comparé à celui de ses employés
Le MÉDAC souhaite aussi que des « ratios d’équité » soient inscrits dans le rapport annuel et la circulaire de sollicitation de procurations de la direction des entreprises. Ces ratios permettraient de comparer la rémunération du chef de la direction avec celle de ses employés.
En inscrivant noir sur blanc ce ratio, les entreprises permettront aux actionnaires de mieux juger de leur politique de rémunération, fait valoir le MÉDAC.
Une récente étude du Centre canadien des politiques alternatives a révélé qu’en moyenne, les PDG ont gagné 174 fois plus d’argent que leurs employés, en 2008. Selon le MÉDAC, le ratio était de 85 fois en 1995 et de 104 fois en 1998. Aux États-Unis, les PDG ont gagné 262 fois le salaire annuel de leurs salariés, en 2005.
Pour Claude Béland, un ratio raisonnable serait plutôt dans la fourchette du 20 à 30 fois le salaire le moins élevé dans l’entreprise. Ainsi, si un travailleur gagne 30 000 $, un ratio de 20 fois équivaut à 600 000 $ pour le PDG et un ratio de 30 correspond à 900 000 $.
« Penser qu’on vaut 400 fois ses employés, c’est prétentieux. Ça me choque », tranche l’ancien président de Desjardins. En utilisant un ratio « raisonnable », les PDG auront tout intérêt à augmenter le salaire de leurs employés, une nécessité pour le bien-être économique de la société, soutient-il.
Une gestion des ressources humaines aberrante
D’ailleurs, pour Claude Béland, la gestion des ressources humaines est la plus grande aberration qui soit, en ce moment, dans les entreprises du Québec. Outre la rémunération exagérée des hauts dirigeants par rapport aux travailleurs, il déplore fermement la précarité des emplois.
« Il y a 15 % d’emplois temporaires dans les entreprises. Sur le plan social, c’est une aberration. Comment voulez-vous que les gens fondent une famille, s’achètent une maison, s’ils ne savent pas ce qui va leur arriver dans six mois? Les humains sont considérés comme une marchandise. J’ai besoin de toi, je te prends, je n’ai plus besoin de toi, je te jette! » selon M. Béland.
Année 2009 aux nombreuses victoires
Par ailleurs, le MÉDAC a qualifié son année 2009 « d’assez exceptionnelle » étant donné le nombre de victoires qu’il a célébrées. Une dizaine d’entreprises ont accepté, à la suite d’une proposition de l’organisme, de permettre aux actionnaires de s’exprimer sur leur politique de rémunération des hauts dirigeants. « C’est une grande victoire », a commenté Claude Béland.
Aussi, une nouvelle Loi sur les sociétés par actions a été adoptée à Québec, pour remplacer la Loi sur les compagnies qui n’avait pas connu de mise à jour significative depuis 1981. « Cinq ou six » idées du MÉDAC ont été retenues par le gouvernement, dont celle de permettre aux actionnaires de présenter des propositions lors des assemblées d’actionnaires.
Le MÉDAC a aussi gagné la lutte qu’il mène contre Power Corporation afin de forcer ce holding à divulguer les états financiers de ses filiales. L’organisation « a gagné sur le principe », mais elle devra retourner en cour étant donné que l’entreprise de la famille Desmarais estime qu’une telle transparence lui causerait des préjudices. En février et en mars, Power Corporation devra convaincre le tribunal de ses présomptions, à défaut de quoi ses livres devront être ouverts. « Ça va être fort intéressant, il n’y a pas de jurisprudence en la matière », a lancé Claude Béland. « Plus Power protège ses états financiers, plus on se demande ce qu’il y a de dangereux là-dedans. »
Enfin, l’organisme fondé par Yves Michaud a réussi à doubler son nombre de membres, qui est passé à quelque 2 000.