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Power Corp. c. Yves Michaud : conséquences financières pour plusieurs?
10 octobre 2009
François Pouliot, LCArgent
Le jugement est tombé il y a quelques semaines, alors que nous étions en vacances. Power Corp. ne peut empêcher Yves Michaud d’avoir accès aux résultats de la filiale médiatique Gesca et de ses sous-filiales (La Presse et autres), a confirmé la Cour d’appel. Vraiment?
L’idée nous est venue de laisser les dépêches de presse et d’aller lire directement le jugement.
Surprise : contrairement à ce que l’on rapportait jusqu’à maintenant, monsieur Michaud et le MÉDAC n’ont pas vraiment gagné l’accès aux livres de la filiale Gesca et de ses sous-filiales.
Le jugement de la Cour d’appel porte sur une question préliminaire et consistait à déterminer si l’article 157 de la Loi sur les sociétés par action visait, non pas uniquement les filiales de Power Corp., mais aussi les sous-filiales de Gesca (La Presse Ltée, Les Éditions La Presse, les Journaux trans-Canada, Probec, etc.).
Oui, dit le tribunal, la loi vise aussi les sous-filiales.
L’affaire ne s’arrête cependant pas là pour autant.
Une autre étape primordiale à franchir
Après que Power se soit abstenue de porter le jugement à la Cour Suprême (le délai d’appel n’est pas encore écoulé), où y ait perdu, il faudra ensuite passer à l’étape la plus importante du recours.
Le tribunal devra alors déterminer si l’examen éventuel des livres par le MÉDAC serait « préjudiciable à la société ou à une filiale ».
Sur ce point, le MÉDAC et monsieur Michaud apparaissent avoir une plus lourde pente à remonter.
Du moment où des états financiers sont remis à des personnes dont le devoir de loyauté envers l’entité est diffus, le risque de préjudice est plus élevé. L’état financier peut en effet se mettre à circuler entre plusieurs mains et aboutir chez le compétiteur ou les syndiqués de l’entreprise.
Cela ne veut pas dire une défaite automatique sur toute la ligne pour monsieur Michaud. Le risque de dommages apparaît plus grand chez une sous-filiale comme La Presse que dans une filiales comme Gesca, où la consolidation des chiffres peut potentiellement rendre une lecture de situation plus difficile. Tout pourrait en fait dépendre de l’étendue des informations qu’ils sont susceptibles de fournir sur chacune des sous-filiales.
Les conséquences potentielles pour Power
Monsieur Michaud était de passage dans nos studios hier.
Depuis des semaines la question nous taraudait : si vous avez un jour accès aux résultats de Gesca, quelle sera la prochaine étape?
« Si elle est déficitaire, eh bien, on leur demandera de la vendre », a-t-il lancé.
Voilà qui ne serait pas nécessairement sans conséquence sociale.
Les journaux de Gesca ont à ce jour été d’importants contributeurs à la compréhension et au débat des enjeux sociaux économiques du Québec.
Dans une situation déficitaire, difficile de croire qu’un nouvel acheteur ne procéderait pas à une éventuelle rationalisation. Il faut bien rentabiliser son investissement. Avec toutes les conséquences sociales que cela peut avoir.
Les conséquences potentielles pour le Québec
Un gain de monsieur Michaud et du MÉDAC pourrait aussi potentiellement avoir des effets bien au-delà de Power Corp.
Imaginons que les syndicats (ou des poteaux agissant pour leur compte) se mettent dans l’idée d’utiliser l’article 157 pour améliorer leur pouvoir de négociation.
La disposition risque de devenir la bête noire de plusieurs employeurs qui devraient alors composer avec des négociateurs bien au fait de leurs résultats et marge de manœuvre.
On pensait initialement que la portée des questions soulevées par Yves Michaud était restreinte à Power Corp. et ses filiales. Et à un débat d’idéologie politique.
Plus on y regarde, plus on s’aperçoit que cet accès aux livres pourrait avoir des conséquences financières importantes pour un grand nombre d’entreprises.
Tout le monde devrait suivre l’affaire. Particulièrement le législateur provincial, qui s’apprête à introduire le même type de disposition dans sa nouvelle Loi sur les sociétés par actions.