Le financier social-démocrate

J’ai justement pensĂ© Ă  Claude BĂ©land samedi en me stationnant Ă  la SAQ DĂ©pĂŽt du MarchĂ© central, Ă  MontrĂ©al.

Francis Vailles, La Presse

Qu’est-il advenu? me suis-je demandĂ©. Vingt-quatre heures plus tard, j’apprends sa mort, Ă  la radio. Je croyais Claude BĂ©land Ă©ternel, tellement il a Ă©tĂ© prĂ©sent dans le paysage socioĂ©conomique du QuĂ©bec, tellement il a contribuĂ©.

J’ai pensĂ© Ă  lui, car c’est au mĂȘme endroit que je l’ai croisĂ©, il y a environ 18 mois. Il avait beaucoup vieilli, mais avait gardĂ© ce sourire franc, sympathique et ces yeux pĂ©tillants. Il m’avait reconnu, nous nous sommes saluĂ©s.

J’ai eu quelques entretiens avec ce grand gestionnaire durant ma carriĂšre, surtout aprĂšs qu’il eut quittĂ© la prĂ©sidence du Mouvement Desjardins et qu’il eut retrouvĂ© une plus grande libertĂ© de parole.


PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE
Claude BĂ©land, ancien prĂ©sident du Mouvement Desjardins, le 25 mars 2000, lors de la passation des pouvoirs au nouveau prĂ©sident, Alban d’Amours (Ă  droite)

Lors d’une discussion Ă  bĂątons rompus vers la fin des annĂ©es 2000, en marge d’un quelconque colloque, il m’avait rĂ©pondu, Ă  ma grande surprise, qu’il trouvait justifiĂ© que Monique Leroux entreprenne un certain dĂ©graissage chez Desjardins, Ă©tant donnĂ© sa structure de coĂ»ts Ă©levĂ©e. Je n’avais pu en discuter plus longuement.

Ce n’est que deux ans plus tard, en 2011, que ce social-dĂ©mocrate dans l’ñme s’était mis Ă  critiquer publiquement le changement de culture chez Desjardins sous Monique Leroux. Il jugeait que la philosophie participative s’était effritĂ©e au sein de la coopĂ©rative financiĂšre et que les changements la faisaient ressembler de plus en plus Ă  une banque.

Claude BĂ©land s’en Ă©tait pris, en particulier, Ă  l’importante rĂ©munĂ©ration de la haute direction, notamment celle de Monique Leroux. Selon lui, la coopĂ©rative ne devait pas tenter d’imiter les banques et les Ă©moluments hors normes de leurs grands patrons.

En 2012, Monique Leroux avait touchĂ© 3,3 millions, soit deux fois plus que quatre ans auparavant. J’avais pris la dĂ©fense de Monique Leroux, rappelant que sa rĂ©munĂ©ration n’équivalait, somme toute, qu’à 30 % de celle de ses pairs des banques canadiennes et qu’elle Ă©tait semblable Ă  celle des autres grandes coopĂ©ratives financiĂšres dans le monde, mĂȘme si Desjardins y figurait alors au 5e rang pour la valeur de son actif.

Monique Leroux a toujours pensĂ© que ce jugement sĂ©vĂšre Ă  son endroit s’expliquait parce qu’elle Ă©tait une femme. Qu’un homme n’aurait pas subi une telle fronde. Que les critiques de Claude BĂ©land Ă©taient injustifiĂ©es. Elle a en partie raison, selon moi, mais l’historique coopĂ©ratif de Desjardins dans ce QuĂ©bec post-judĂ©o-chrĂ©tien est l’élĂ©ment fort expliquant cette levĂ©e de boucliers.

Il faut dire que depuis 2008, Claude BĂ©land remplaçait le Robin des banques, Yves Michaud, Ă  la tĂȘte du Mouvement d’éducation [et de dĂ©fense] des actionnaires (MÉDAC). Depuis ses dĂ©buts, ce mouvement pourfend Ă  juste titre les excĂšs financiers des entreprises en Bourse, et notamment la rĂ©munĂ©ration.

La venue de Claude BĂ©land, mĂȘme Ă  l’ñge de 76 ans, avait donnĂ© beaucoup de crĂ©dibilitĂ© au MÉDAC. L’homme Ă©tait disposĂ© Ă  commenter tous les dossiers touchant Ă  la gouvernance des organisations.

Signe de sa simplicitĂ©, il n’hĂ©sitait pas Ă  donner son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone Ă  la maison pour qu’on puisse le joindre rapidement.

Il faut dire, aussi, que le secteur financier s’est considĂ©rablement transformĂ© depuis le milieu des annĂ©es 80, quand Claude BĂ©land est devenu prĂ©sident de Desjardins. Trois petites annĂ©es avant son arrivĂ©e, Desjardins avait autorisĂ© l’émission de cartes de crĂ©dit pour les particuliers, un vĂ©hicule jusque-lĂ  honni au sein de l’institution, qui Ă©tait pourtant offert par les banques depuis longtemps.

Aujourd’hui, le monde financier est de plus en plus numĂ©rique, immatĂ©riel, et Desjardins doit suivre la parade s’il ne veut pas perdre ses clients au profit des banques. L’institution a d’ailleurs goĂ»tĂ© Ă  l’ùre financiĂšre moderne, l’étĂ© dernier, avec le vol des donnĂ©es personnelles de ses clients. Claude BĂ©land, encore une fois, ne s’est pas gĂȘnĂ© pour critiquer l’institution, parlant d’un pĂ©chĂ© dans la gestion, ayant Ă©tĂ© lui-mĂȘme victime d’un vol d’identitĂ©, faut-il dire.

Un de mes derniers entretiens avec Claude BĂ©land, en tant que prĂ©sident du MÉDAC, portait sur les gĂ©nĂ©reuses indemnitĂ©s de dĂ©part versĂ©es aux dirigeants des sociĂ©tĂ©s d’État du QuĂ©bec. Ces patrons, avais-je pu constater, touchaient cette « prime Â» mĂȘme s’ils quittaient leur poste de leur propre grĂ© pour un concurrent, comme ce fut le cas d’Henri-Paul Rousseau, de la Caisse de dĂ©pĂŽt et placement, ou de Thierry Vandal, d’Hydro-QuĂ©bec.

Claude BĂ©land s’en Ă©tait dit fort Ă©tonnĂ©. « C’est bizarre que l’employeur rĂ©compense quelqu’un qui part avant la fin de son mandat. Je ne comprends pas. Une telle indemnitĂ© a pour effet de motiver la personne Ă  s’en aller Â», avait-il dit. La Caisse de dĂ©pĂŽt a par la suite aboli ces indemnitĂ©s pour les dĂ©parts volontaires.

Claude BĂ©land Ă©tait Ă  l’image de bien des QuĂ©bĂ©cois : simple, authentique, souverainiste modĂ©rĂ©, social-dĂ©mocrate. Il a travaillĂ© au bien commun presque toute sa vie. Son dĂ©cĂšs marque la fin d’une Ă©poque au QuĂ©bec. Adieu, M. BĂ©land


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