Yves Michaud l’emporte contre les banques
Les actionnaires auront plus de pouvoir pour intervenir aux assemblées annuelles
10 janvier 1997
Gérard Bérubé, Le Devoir
Yves Michaud a remporté une brillante victoire dans sa lutte contre ce qu’il appelle le système des « copains d’abord » qui régit la haute direction des banques. Dans un jugement exécutoire qui risque de faire jurisprudence (et d’être porté en appel), il a obtenu, notamment, que chacun des actionnaires d’une institution puisse avoir voix au chapitre en matière de rémunération des hauts dirigeants, de nomination du président du conseil et d’élection au conseil de personnes ayant un rôle de fournisseur de services.
« C’est une première au Canada. La belle unanimité des associés, le système des “copains d’abord”, ces déroulements d’assemblées des actionnaires ou tout est programmé, décidé à l’avance, tout cela, c’est fini. La démocratie pourra s’installer dans l’actionnariat d’une entreprise », s’est exclamé Yves Michaud, savourant sa victoire.
Michaud reconnaît que la portée du jugement peut être surtout théorique ou philosophique compte tenu du jeu des votes par procuration. Mais n’empêche, « c’est une victoire pour la démocratie, et tout actionnaire inscrit pourra désormais soumettre des propositions autres que celles des dirigeants »
Dans une décision de 24 pages rendue hier, la juge Pierrette Rayle, de la Cour supérieure, a répondu à l’argumentaire des parties en accueillant la requête de M. Michaud, ex-journaliste et homme politique, qui s’exprimait dans ce litige à titre d’actionnaire des deux banques intimées : les banques Royale et Nationale. La juge Rayle a ainsi ordonné à la Banque Royale d’inclure les propositions numéros 1, 3, 4 et 5 de M. Michaud dans la circulaire de direction accompagnant l’avis de convocation de la prochaine assemblée générale des actionnaires. Quant à la Banque Nationale, la juge lui a ordonné d’inclure les cinq propositions de M. Michaud dans sa circulaire. Le tout avec dépens limités aux déboursés et sous exécution provisoire nonobstant appel.
À défaut, pour ces banques, de se conformer à l’ordonnance, la cour les empêche de tenir la prochaine assemblée générale des actionnaires.
Les cinq propositions de M. Michaud, qui a débattu cette cause sans avocat, sont les suivantes :
il est proposé que la rémunération globale du dirigeant le plus haut salarié de la banque, incluant le salaire annuel, les primes, les gratifications, les versements en vertu de programmes de bonification à long terme et toutes autres formes de rémunération, n’excède pas 20 fois la rémunération moyenne des employés de la banque;
il est proposé de mettre fin au 31 décembre 1997 au programme d’endettement des administrateurs, des hauts dirigeants et des dirigeants supérieurs autrement qu’en vertu des programmes d’achat de titres;
il est proposé que le président du conseil d’administration soit désigné parmi les membres du conseil ne faisant pas partie du personnel de la banque;
il est proposé qu’une personne liée à la banque en qualité de prestataire de services ne soit pas admissible à titre de membre du conseil d’administration;
il est proposé que le mandat des membres du conseil d’administration autres que les dirigeants de la banque n’excède pas dix années consécutives.
« Ces propositions devront être inscrites dans les circulaires des banques et soumises au vote de tous les actionnaires, a résumé Yves Michaud. En d’autres termes, cela veut dire que les 74 000 actionnaires de la Banque Royale, les 44 000 de la Banque Nationale pourront s’exprimer sur ces propositions. » Les actionnaires s’exprimant par procuration et se montrant favorables aux propositions « pourront toujours me faire parvenir leur procuration », a-t-il ajouté, tout en promettant de s’occuper des autres banques.
Dans sa décision, la juge Pierrette Rayle souligne que « non seulement les propositions sont-elles pertinentes mais le tribunal croit qu’une discussion sereine, civilisée sur les questions qu’elles soulèvent servira l’intérêt prochain et lointain des actionnaires et celui des banques intimées ». Et elle rappelle que « dans notre conception moderne où tout épargnant, du plus petit au plus puissant, peut investir dans le capital-actions d’une banque, le métier de banquier revient aux dirigeants et non aux propriétaires de l’entreprise. Mais si la gestion des affaires de la banque relève de son conseil d’administration, il n’en demeure pas moins que ce conseil relève du dernier ressort des actionnaires [...] Ce sont les actionnaires qui élisent les membres du conseil au sein duquel est choisi le premier dirigeant de la banque ».
Constatant qu’une petite portion seulement d’actionnaires, soit ceux dont les titres sont inscrits en leur nom propre et non en celui du courtier ou d’autres intermédiaires financiers, et soulignant aussi que parmi les actionnaires habilités à voter, seule une portion infime d’actionnaires participe physiquement à l’assemblée annuelle, « le préjudice général que subirait le requérant [M. Michaud] est donc évident. L’envoi de propositions avec la circulaire constitue le seul moyen pour lui de rejoindre les autres actionnaires, de communiquer directement avec eux et de rechercher en temps utile leur appui [...] ».
La juge Rayle a consacré quelques chapitres à la rémunération des dirigeants. « Dans l’état “normal” des choses, l’actionnaire d’une banque ne se prononcera que sur les seules questions soumises par la direction. Ainsi, la rémunération des dirigeants ne serait jamais soumise à l’examen critique des actionnaires, puisqu’elle est du ressort du conseil. Pourtant cette question retient l’attention du public à travers le Canada. Tous auraient droit à leur opinion sur la question... sauf les actionnaires? Leur droit à la dissidence devrait se limiter au seul privilège de se départir de leur investissement? C’est sans doute pour éviter ce genre de situation que le législateur a reconnu à l’actionnaire le droit de saisir l’assemblée de ses pairs de toute proposition pertinente, au-delà du seul menu offert par les dirigeants. »