Photo d’archives, Agence QMI
Alain Bellemare (président et chef de la direction), Pierre Beaudoin (président exécutif du conseil d’administration) et Laurent Beaudoin (président émérite du conseil) lors de l’assemblée des actionnaires de Bombardier, à Mirabel, le 29 avril 2016.

Leçon de modestie pour l’avionneur québécois

Malgré les profits, Embraer n’a pas vu sa rémunération exploser

7 mai 2017
Philippe Orfali, Le Journal de Montréal

Embraer, avionneur bien connu du Brésil, aurait des leçons à donner en matière de rémunération à Bombardier. Les sept hauts dirigeants du principal compétiteur de Bombardier Avions commerciaux ont empoché 10 millions $ de moins que ceux de l’entreprise québécoise l’an dernier, malgré des profits de 252 millions $.

Alors que Bombardier annonçait une hausse de la rémunération de ses sept grands patrons de l’ordre de 48%, malgré un déficit, des dizaines de milliers de mises à pied et un investissement gouvernemental de 3,3 milliards $ dans l’entreprise, Embraer a réalisé 252,5 millions $ CA de profits en 2016. La haute gestion a pendant ce temps vu son salaire croître de seulement 4%.

La compagnie est de moindre taille et a effectué environ la moitié des ventes du secteur aéronautique de Bombardier, mais elle se retrouve aujourd’hui en bien meilleure posture que l’entreprise québécoise, malgré certaines difficultés. Et pourtant, ses dirigeants empochent bien moins que ceux de Bombardier.

16 % du salaire de Beaudoin

L’an dernier, les onze membres du conseil d’administration ont pour leur part été payés en moyenne 72 000 $. L’ensemble du C. A. a gagné 800 000 $. Cela correspond à 16 % de la rémunération annuelle du président du conseil de Bombardier, Pierre Beaudoin, qui a touché près de 5,2 millions $ l’an dernier, après avoir renoncé à une partie de sa hausse de salaire.

« Quand on regarde les profits d’Embraer, sa rentabilité, et le fait qu’elle n’a pas pris les fonds des gouvernements pour payer les salaires de ses cadres ou de son C. A., on se dit qu’on est loin de Bombardier », commente Michel Nadeau, de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), qui se trouvait au Brésil au moment de l’assemblée d’Embraer.

Même si elle performe bien en comparaison à Bombardier, Embraer n’a pas fait que des heureux. Plusieurs de ses actionnaires estiment que le rendement de l’entreprise est décevant. Ils l’ont fait savoir lors de la plus récente assemblée des actionnaires, en avril. Bombardier tient la sienne jeudi.

Peu probable

« Plusieurs ont jugé que 4 % de hausse, c’était abusif », note M. Nadeau. Près du quart des actionnaires ont donc voté contre, ce qui est inhabituel.

Il serait très peu probable qu’une situation semblable survienne lors de l’assemblée de Bombardier. La raison est simple : même si la famille du fondateur détient aujourd’hui moins de la moitié des actions de l’entreprise, elle continue de contrôler l’entreprise grâce à ses actions multivotantes, qui lui donnent 53,23 % des droits de vote.

Rappelons aussi qu’il s’agit d’une « résolution consultative non contraignante » sur l’approche de l’entreprise en matière de rémunération des membres de la haute direction. L’an dernier, elle avait été appuyée par 96 % des actionnaires.

Une assemblée des actionnaires qui s’annonce difficile

Ça pourrait barder, jeudi, à l’assemblée des actionnaires de Bombardier. La poussière est un peu retombée depuis l’annonce de la hausse de rémunération de ses grands patrons, le mois dernier, mais plusieurs actionnaires promettent de se faire entendre haut et fort.

Déjà, le Régime de retraite des enseignants de l’Ontario a donné un avant-goût de ce qu’il pense du président du conseil de Bombardier, Pierre Beaudoin. Teachers a annoncé qu’il s’abstiendrait lors d’un vote sur le renouvellement du mandat de M. Beaudoin au conseil d’administration de Power Corporation du Canada, où il siège aussi.

Le fonds évoque une « piètre fiche de présence et l’absence d’explications plausibles dans les documents » de l’entreprise de la famille Desmarais. « Nous ne soutenons pas cette candidature ».

M. Beaudoin n’a participé qu’aux deux tiers des rencontres du C. A. de Power en 2016, et au tiers l’année précédente. Une présence à 75 % des rencontres est souvent considérée comme un seuil minimal.

Recommandation : contre

L’une des plus importantes firmes de conseil aux investisseurs recommande carrément de voter contre la hausse versée à Alain Bellemare, Pierre Beaudoin et aux cinq autres hauts dirigeants. Glass Lewis s’oppose à la politique de rémunération, la jugeant floue, et rappelle que Bombardier a raté plusieurs cibles financières.

Une partie de la rémunération a été revue à la hausse « sans explication significative » et l’entreprise ferait bien d’être plus transparente avec ses actionnaires, dit-elle.

Hausse excessive

Même chose pour le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Rappelant que Bombardier a reçu 3,3 milliards $ de Québec et mis à pied des milliers de personnes, le MÉDAC dénonce ces hausses « excessives ».

« Au Québec, on n’apprécie pas ce genre de hauts dirigeants qui s’en mettent plein les poches […] sans avoir à répondre de leur rendement et sans équité avec les efforts des employés », affirme le président Daniel Thouin.

La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) confirme qu’elle votera, le 11. Mais elle ne dit pas comment, préférant s’expliquer après la tenue du scrutin.

C’est également ce que va faire le fonds Teachers dans ce cas-ci.

Bombardier en chiffres

  • Une assemblée des actionnaires le jeudi 11 mai
  • Hausse de rémunération annoncée de 48 % pour 7 dirigeants
  • Celle-ci a été partiellement annulée et reportée à plus tard, mais elle demeure élevée vu les résultats de l’entreprise
  • Les actionnaires sont invités à voter, mais la famille Bombardier a la majorité des voix
  • Tout le C. A. d’Embraer gagne environ 16 % du salai­re du président du C. A. de Bombardier, Pierre Beaudoin

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