Question d’argent et d’amitié
16 avril 2017
Marie-Claude Lortie, La Presse
Peut-on être ami avec son conseiller financier?
Ou est-ce le genre de professionnel avec qui il vaut mieux garder une certaine distance, un peu, disons, comme avec un gynécologue?
Pensez-y.
On en a besoin, on compte sur son professionnalisme, son expertise, mais sachant qu’il faut se mettre à nu (financièrement ou médicalement) devant lui, peut-être vaut-il mieux ne pas le fréquenter dans la vie privée?
Est-ce que ça ne rend pas les liens un peu bizarres? Tu sais tout de moi, combien d’argent je gagne et combien je suis nulle en matière d’épargne, et après, on va en voyage ensemble? Je fais quoi si j’ai envie de me gâter avec une paire de chaussures hors de prix?
Voilà longtemps que je me pose ces questions. En fait, depuis la première fois que je suis allée à la banque demander une marge de crédit.
Je me rappelle très bien ma rencontre avec le banquier et les questions posées sur mes revenus, mes biens, mon travail, mes dettes, mes cartes de crédit. Je me sentais littéralement comme si j’étais chez le médecin, toute nue, en train de dire des choses que je gardais secrètes devant les autres, par pudeur, par orgueil ou je ne sais plus quoi.
C’est intime, une relation avec un conseiller financier, la personne qui nous aide à investir, à gérer notre argent. Cette personne sait tout de nos états financiers. Le meilleur et le pire. Et dans ce sens, ne vaut-il pas mieux que ces échanges se passent avec un professionnel à qui on peut faire confiance, mais qu’on n’aura pas à revoir ailleurs? Quelqu’un avec qui on sera à l’aise de parler de ses faiblesses et de ses craintes, de ses échecs et de ses rêves, sans filtre? Quelqu’un aussi qu’on n’aura pas de difficulté à remettre à sa place ou en question, à quitter, à poursuivre, s’il le faut?
J’ai posé la question autour de moi et à quelques spécialistes et les réponses penchent généralement en faveur, effectivement, de la distance professionnelle entre le conseiller et le client. Mais tout n’est pas noir et blanc.
Et bien des gens croient que l’amitié est cruciale dans le monde des affaires. Combien d’entreprises ont commencé grâce à ce que les anglophones appellent le love money – l’argent prêté par amour, par amitié, par liens familiaux…?
« Quand on commence dans le métier, c’est parfois essentiel d’être encouragé par des amis », confie Jean Dupriez, longtemps lui-même conseiller et auteur de Savoir choisir son conseiller financier. « Mais il est prudent d’avoir une distance avec cette personne », ajoute-t-il.
Pourquoi? Pour que la relation ne soit pas teintée de gêne de dire les choses, de poser des questions difficiles, de remettre en question certaines décisions. Des deux côtés.
Normand Caron, conseiller en formation au MEDAC, le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires, est du même avis. « Quand on fait affaire avec un ami, c’est difficile de se plaindre, de négocier pour plus. Il y a toujours une petite réserve. »
Le conseiller n’osera peut-être pas prendre autant de risques, le client n’osera peut-être pas remettre en question les décisions de son ami…
« Il y a une zone grise. Et ça peut gâcher une amitié », dit M. Caron.
« Il y a un vieux proverbe qui dit : “Qui prête à son ami perd à la fois l’argent et l’ami”, ajoute M. Dupriez. C’est ce qui me vient à l’esprit quand je réfléchis à cette question. »
Mais cette façon de voir peut aussi sembler bien froide.
Les amis, n’est-ce pas fait pour s’encourager, en affaires comme dans le jardin ou à la pêche? Et y a-t-il quelqu’un de mieux placé qu’un ami pour comprendre qui on est, ce dont on a besoin? Et n’est-ce pas quelqu’un à qui on peut faire réellement confiance? Quelqu’un qui veut réellement notre bien?
Normand Caron répond à cette question avec l’histoire d’Earl Jones, ce « conseiller financier » montréalais reconnu coupable de fraude, qui fonctionnait en tissant des liens de confiance avec des gens, en construisant de fausses amitiés, pour ensuite leur proposer ses services et les arnaquer.
Mais tous les liens d’amitié liant professionnels et clients ne finissent pas comme ça aussi terriblement, bien sûr. L’histoire est plutôt remplie de médecins, de comptables, d’ingénieurs, d’avocats et de mille autres conseillers, financiers ou pas, cruciaux dans la vie de leurs amis.
Et selon M. Dupriez, les problèmes viennent plus souvent quand les amis clients font trop confiance à leur ami professionnel et délèguent trop plutôt que l’inverse. « C’est quand on dit, par exemple, à son ami : “Paie-toi et ça ne m’intéresse pas de savoir comment.” »
Une telle attitude n’est pas la bonne, croit M. Dupriez. Toute bonne relation d’affaires doit être bâtie sur un engagement mutuel, un partage de responsabilités.
Le modèle idéal, finalement, c’est peut-être quand le lien professionnel précède l’amitié, puisque celle-ci démarre sur une base claire, du moins pour ce qui touche l’argent. Et les exigences à la fois du client et du conseiller ne seront pas édulcorées par une amitié de départ.
Mais y a-t-il vraiment une recette universelle? Pas en amitié, et pas en finance non plus.
Sur ce, joyeuses Pâques!