Tim Hortons : les dessous du vote contre la diversité
2016-06-10
Diane Bédard, Les Affaires
Hier, au siège social de Restaurant Brands International (issu de la fusion de Tim Hortons et Burger King), à Oakville, en Ontario, les actionnaires réunis pour l’assemblée annuelle ont rejeté la proposition d’OceanRock Investments demandant, pour la fin de décembre 2016, la publication d’une politique formelle de diversité et un plan d’implantation pour celle-ci.
En somme, la majorité des actionnaires ne jugent ni important ni nécessaire ni utile que Restaurant Brands International se donne une politique pour promouvoir davantage de femmes à des postes de gestion et au conseil d’administration. Ou tout au moins de se questionner sur la diversité de ses dirigeants. Ça, ce sont les faits. J’ai voulu connaître l’histoire derrière ces faits. J’ai donc interviewé Fred Pinto, le pdg d’OceanRock Investments.
Qui est OceanRock Investments?
OceanRock Investments est un gestionnaire de fonds de Vancouver qui gère 1,4G $ CAD. OceanRock appartient à 100 % à Q Trade, qui lui gère 12G $ CAD. Et Q Trade est affilié au Mouvement Desjardins.
Les clients d’OceanRock sont principalement des coopératives de crédit canadiennes. OceanRock souscrit aux principes de l’investissement responsable, soit les critères ESG (environnement, social, gouvernance). Ces critères guident donc la majorité de ses investissements. La diversité des gestionnaires fait partie des critères d’une gouvernance responsable.
OceanRock Investments était actionnaire de Tim Hortons au moment de la fusion avec Buger King.
La situation de Tim Hortons avant la fusion avec Burger King
Le CA de Tim Hortons comptait 12 membres, dont trois femmes. « Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est dans la norme, commente Fred Pinto, pdg d’OceanRock Investments. Suite à la fusion, la nouvelle entité a adopté l’approche Burger King qui, eux, n’avait aucune femme à leur CA. » Le CA de Restaurant Brands International est donc composé de 11 hommes.
Y a-t-il des femmes aux CA de la concurrence?
Certains secteurs éprouvent de la difficulté à recruter des administratrices parce que l’offre est insuffisante. Certains secteurs n’attirent tout simplement pas beaucoup de femmes. Cela ne semble pas être le cas dans le secteur dont il est ici question. McDonald’s, Starbucks, Wendy et Dunkin Donuts ont chacun 2 ou 3 femmes à leur conseil d’administration. « Nous n’observons pas un problème d’offre », confirme Fred Pinto.
Qui sont les actionnaires de Restaurant Brands International?
La moitié de l’actionnariat se trouve entre les mains de trois joueurs :
- le plus important est 3G Funds, un gestionnaire brésilien qui a acheté Burger King en 2010. Il l’a sortie de la bourse la même année pour l’y ramener en 2012;
- le second serait National Indemnity Company, un membre à part entière de la famille Berkshire Hathaway, la société de Warren Buffet;
- le troisième serait Pershing Square, la société du célébrissime actionnaire activiste Bill Ackman.
La réaction de Restaurant Brands International à la proposition de diversité
OceanRock Investment a envoyé sa proposition à la direction de Restaurant Brands International en mars 2016. Généralement, les entreprises désirent limiter le nombre de propositions lors de l’assemblée. Pour y arriver, plusieurs stratégies sont possibles. La première : rencontrer l’actionnaire ou le groupe qui a élaboré la proposition et tenter de s’entendre avec lui pour ne pas avoir à en discuter lors de l’assemblée. La seconde : le CA recommande aux actionnaires de voter contre la proposition lors de l’assemblée. Restaurant Brands International a choisi une autre voie. Elle n’a pas rencontré OceanRock à l’avance pour discuter de sa proposition. Elle a plutôt ajouté quelques lignes dans sa circulaire de procuration disant que la société se pencherait sur les enjeux de diversité. « C’était très vague et n’engageait à rien », commente Fred Pinto.
Malgré tout, le conseil a laissé Fred Pinto présenter sa proposition et n’a pas recommandé aux actionnaires de la rejeter. « J’avoue ne pas comprendre la stratégie de Restaurant Brands International. Ils ne nous ont pas contactés pour discuter. Pourtant, ils n’ont pas recommandé de voter contre notre proposition. J’y vois peut-être une ouverture de leur part. Nous allons donc persister. »
Quelle sera la suite?
« Nous sommes des investisseurs actifs, pas des investisseurs activistes, souligne Fred Pinto. Nous ne sommes pas là pour obstruer le cours des choses, mais pour éduquer et influencer. Nous allons donc continuer de travailler avec la direction. Nous croyons que le dossier de la diversité est juste, économiquement et humainement. » Pour pouvoir proposer à nouveau une politique de diversité à la prochaine assemblée annuelle, OceanRock doit avoir rallié entre 7 et 10 % des votes cette année. Fred Pinto attend donc les résultats détaillés du vote d’hier. Au moment de l’entrevue, il ne les avait pas reçus.
Pourquoi les actionnaires ont-ils refusé?
« Je ne peux rien affirmer. Du point de vue de l’investissement responsable, une politique de diversité est rentable. Elle s’inscrit dans les actions de bonne gouvernance. Mais, un investisseur à court terme n’y voit pas de retour immédiat. Il faut compter 12 à 36 mois avant d’observer les fruits d’une politique de diversité. Si vous vous souciez uniquement du prochain trimestre, vous n’y verrez pas votre intérêt. »
Pour ma part, il me reste une question : pourquoi des actionnaires voteraient-ils contre une proposition qui ne coûte rien à l’entreprise? La réponse possible : elle ne coûte rien à l’entreprise, mais elle ne leur rapporte rien non plus. Pourquoi accepter quelque chose qui ne nous rapporte rien personnellement, mais qui s’avère un geste d’équité et de modernité?
Voici le texte intégral de la proposition d’OceanRock Investments pour une politique de diversité lors de l’assemblée annuelle de Restaurant Brands International :
« Good morning. My name is Fred Pinto and I am the CEO of OceanRock Investments Inc. I’m here representing our Meritas Jantzi Social Index® Fund which filed this shareholder proposal with the company. Our growing Meritas funds have been at the forefront of promoting better environmental, social and governance policies and practices at Canadian companies and in Canadian capital markets.
We filed a shareholder proposal asking the Board to adopt and publish a formal, written Board diversity policy and to report to shareholders on the Board’s plans for increasing gender diversity on the Board of Directors and amongst senior management.
We did this not only because diversity is a critical attribute of a well-functioning board and tends to be associated with better shareholder returns, and not only because regulators have made clear that this is an expectation of Canadian corporate boards.
We did this quite simply because it’s the right thing to do.
We did this because prior to merging with Burger King to become RBI, Tim Hortons had three women on its twelve-person Board, and now it has none.
We believe the Board when it says that it does seek a diverse group of director candidates. However we also believe that in order to make progress on diversity we need a clear policy and a more substantial plan to get there. Without a plan, without a systematic approach to changing this picture, we run the risk of being like Burger King’s board of directors, which had no women either, and in fact which had no women in top executive positions. That’s not a record we want to replicate.
We note that the Board has not recommended a vote against this proposal. We welcome that and hope it signals an interest in change. We hope that shareholders and the Board might be united in expressing our desire to move forward on diversity not only in words but in deeds.
Therefore we move that the Board of Directors :
a) Adopt and publish a formal, written Board diversity policy by December 2016; and
b) Provide to shareholders a report by December 2016, at reasonable cost and omitting
proprietary information, which outlines the Board’s plans, timelines, process and activities for increasing gender diversity on the Board of Directors and amongst senior management. We propose that the requested report should also address the number of women in the candidate pool for the most recent recruiting period. »