L’émergence d’un capitalisme nouveau
2015-01-16
Normand Caron
Je reprends la rédaction des carnets du capitalien pour parler stratégie cette fois-ci. Jusqu’à maintenant, la première série a dressé un portrait statistique de notre épargne patrimoniale, individuelle et collective. Il nous a fait prendre conscience que nous sommes devenus de nouveaux propriétaires de l’économie et les principaux fournisseurs de capitaux pour les gouvernements et les entreprises. Mais qu’en faisons-nous? Quelle est la stratégie de ces nouveaux « capitaliens » que nous sommes? Sommes-nous proactifs ou laissons-nous des inconnus prendre les décisions à notre place?
Dans cette nouvelle série de carnets, je m’attarde à élaborer (certains diront « rêver ») une stratégie possible menant à l’émergence d’un nouveau capitalisme, animé par un « capitalien conscient et responsable », seul joueur en mesure de transformer en profondeur et de façon consistante les règles de base des marchés financiers et celles de la gestion de nos grandes sociétés. Ainsi, pour bien marquer la différence entre le capitaliste traditionnel et le nouveau qui se profile à l’horizon, il importe de lui définir une stratégie spécifique.
À mes yeux, cette stratégie doit se déployer essentiellement autour de 4 principes d’action et d’intervention, caractéristiques qui en détermineront le profil :
- Le capitalien est un investisseur à long terme, formé et bien branché;
- il sait conjuguer recherche du rendement, critères éthiques et impacts sur le développement durable;
- il connaît ses droits et les exercent;
- il est un acteur responsable et engagé, militant pour une démocratie actionnariale renforcée.
Un investisseur à long terme formé et branché
L’expérience récente des marchés financiers nous a brutalement rappelé qu’un danger permanent guette l’investisseur: l’éclatement des bulles spéculatives. Tels des moutons de Panurge, quand les valeurs boursières grimpent, tout le monde achète des actions. Quand ça commence à baisser, tous vendent en catastrophe, ce qui amplifie l’effet de spirale descendante. Pour sa part, le capitalien se tient loin des vagues moutonnières. Il garde le cap sur ses choix de titres et ses objectifs à long terme. Il ne liquide pas ses positions à la moindre secousse boursière, toujours forcément passagère. Il analyse périodiquement l’évolution de ses titres, s’intéresse à l’actualité pouvant avoir un impact sur eux, lit la documentation disponible et prend ses décisions de les acheter, les conserver ou les vendre en fonction de ses objectifs et de son seuil de tolérance au risque.
Pour atteindre son objectif de devenir un investisseur à long terme, il doit s’inscrire dans une démarche de formation continue. Chaque jour, de nouveaux produits financiers sont introduits sur le marché. D’autres deviennent de plus en plus complexes. D’astucieux promoteurs et leurs représentants font miroiter des rendements juteux à faible risque. Il ne se laisse pas séduire par toutes ces sirènes commerciales. Il n’achète que des produits qu’il connaît et comprend. Il identifie ses sources d’information privilégiées. Il est branché sur l’actualité financière générale et celle qui touche particulièrement ses titres financiers.
Un investisseur prospère et socialement responsable
La rentabilité d’un investissement — et le niveau de risque qu’il comporte — demeure le premier objectif du capitalien. À chacun de déterminer les objectifs qui lui conviennent. La rémunération des capitaux propres, investis sous formes d’actions ordinaires ou privilégiées et matérialisée par des dividendes ou des plus-values, est tributaire de la performance économique de l’entreprise et de ses perspectives d’avenir. Une bonne connaissance des comptes d’exploitation de l’entreprise, de son bilan et des principes d’analyse financière constitue un atout indiscutable pour lui. Il pourra actualiser son analyse, raffiner son diagnostic et prendre lui-même les décisions d’y investir ou de s’en retirer.
Parce qu’il est un investisseur de longue haleine et patient, les facteurs non financiers (respect de l’environnement, comportement éthique et impact sur le développement durable) deviennent pour lui de première importance. La pérennité de l’entreprise et sa capacité à croître et à dégager des marges bénéficiaires seront d’autant plus grandes que ces facteurs seront prioritairement pris en compte. De saines et harmonieuses relations sociales, tant à l’interne entre dirigeants et employés qu’à l’externe (clients, fournisseurs, collectivités...) concourent à éliminer les risques de conflits et d’affrontements perturbateurs.
La semaine prochaine : « le capitalien, agent de changement »