Un an de revenu « au congélateur »

2014-12-01
Normand Caron

Cette semaine, il ne s’agit pas d’un carnet habituel qui décrit un type particulier d’investisseur. C’est plus un portrait de famille, car il les englobe tous : les « frileux, mutualisés, sceptiques, indiciels, créateurs d’emplois et solitaires », c'est-à-dire ceux qui ont inspiré le contenu de mes premiers carnets. Aujourd’hui, je vous présente une première photo de l’épargne « individuelle et volontaire » qu’ils ont accumulée au fil des années.

Ce carnet est un peu plus technique que les autres, mais rassurez-vous, vous pouvez communiquer avec moi en tout temps en envoyant vos questions à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.. Je me ferai un devoir de vous répondre et expliquer mes chiffres. Je vous dévoile des chiffres sous la forme d’un bilan partiel, limité pour le moment aux seuls actifs financiers issus d’une volonté individuelle. Le carnet suivant portera sur les actifs financiers générés par une volonté collective ou contractuelle.

Chaque élément d’actif est décliné par ordre décroissant de liquidité comme il se doit. La majorité des données sont en date du 31 décembre 2013. Je les présente d’abord globalement, ensuite pour chacun des 3,4 millions de ménages québécois, puis finalement, pour chacun des 8,1 millions de citoyens du Québec.

VALEUR DES ACTIFS FINANCIERS « PERSONNELS ET VOLONTAIRES » AU 31 DÉCEMBRE 2013

au 31/12/2013 Global Par ménage Per capita
       
À court terme      
Encaisse et dépôts à vue 86 250 M$ 25 293 $ 10 648 $
Dépôts à terme 96 492 M$ 28 297 $ 11 913 $
Sociétés de fiducie et d'épargne 24 075 M$ 7 060 $ 2 972 $
Obligations d'épargne Canada-Québec 9 900 M$ 2 903 $ 1 222 $
Sous-total 216 717 M$ 63 553 $ 26 755 $
       
À long terme      
Fonds communs de placement 148 700 M$ 43 607 $ 18 358 $
Valeurs mobilières 154 494 M$ 45 306 $ 19 073 $
Fonds de travailleurs 11 326 M$ 3 321 $ 1 398 $
Sous-total 314 520 M$ 92 234 $ 38 830 $
       
TOTAL 531 237 M$ 155 788 $ 65 585 $

Expliquons et commentons chacun de ces actifs :

  1. L’encaisse et les dépôts à vue sont les sommes qui sont détenues par des particuliers dans les comptes courants des institutions bancaires ou des coopératives d’épargne et de crédit du Québec. Elles ne font l’objet d’aucune restriction ou délai de retrait. Comme on l’a vu dans le deuxième carnet, celui sur le capitalien « frileux », cet actif a connu une progression de 105 % depuis 2008, passant de 42 à 86,2 milliards de dollars.
  2. Les dépôts à terme sont moins liquides que les précédents. L’épargnant s’est engagé par contrat à ne pas utiliser ses économies durant une période définie. Compte tenu des faibles taux de rendement qui sont offerts par les institutions financières sur ces produits, il est peu surprenant que leur valeur globale ait peu bougé depuis cinq ans, passant de 93 à 96,5 milliards de dollars.
  3. À la suite de commentaires de quelques lecteurs avisés, j’ai complété le tableau présenté dans le capitalien « frileux » en introduisant deux autres catégories d’actifs financiers à court terme :
    1. Les dépôts des particuliers logés au sein des sociétés de fiducie et des sociétés d’épargne qui sont présentes sur le territoire du Québec et qui sont supervisées par l’Autorité des marchés financiers (AMF)[1]. Notons toutefois que les données présentées ici datent de décembre 2012 et qu’un pourcentage non identifié de celles-ci risquent peut-être d’avoir été consolidées dans le passif des institutions bancaires déjà répertoriées.
    2. Les obligations d’épargne des deux paliers de gouvernement qui, contrairement aux obligations négociables, sont rachetables en tout temps. Elles sont offertes aux épargnants par l’intermédiaire d'« Épargne Placement Québec », une entité du ministère des Finances du Québec. L’encours au 31 mars 2013 s’élevait à 7,4 milliards de dollars, auquel il faut ajouter 2,5 milliards de dollars, soit la proportion estimée d’environ 20 % des obligations canadiennes (évaluées à 12,5 milliards de dollars) qui seraient détenues par des épargnants québécois.
  4. L’actif global à court terme s’élève donc à 216,7 milliards de dollars, soit une progression de plus de 35 % en cinq ans. Cette masse astronomique d’épargnes peu rémunérées représente, à elle seule, plus que le total du revenu annuel disponible des ménages québécois (213 milliards de dollars) qui était établi par l’Institut de la statistique du Québec en décembre 2013[2]. C’est plus de 63 500 $ par ménage ou 26 755 $ par individu. Avec de tels chiffres, on peut parler non pas d’un « coussin de sécurité », mais d’un véritable matelas avec une double épaisseur. Quand les experts en finances personnelles affirment qu’un fonds de prévoyance qui équivaut à trois mois de son revenu disponible est suffisant et constitue un principe de base pour la saine gestion de son patrimoine, on peut conclure que les Québécois ne sont pas seulement « frileux », mais qu'ils sont complètement « congelés ».
  5. Quant à l’actif financier à long terme, qui est immobilisé dans les fonds communs de placement, les valeurs mobilières et/ou les fonds de travailleurs, sa valeur totale avait grimpé à 315 milliards de dollars au 31 décembre 2013. En cinq ans, cet actif a connu un bond de 60 %, (+ 117 milliards de dollars) dont le tiers seulement a été mis à l’abri de l’impôt, soit dans les REER, FEER et CELI.
  6. En conjuguant les actifs financiers à court et à long terme, on peut mieux apprécier l’étonnant effort « volontariste » des ménages québécois de mettre de l’argent de côté. Ils ont mis volontairement sous leur gestion personnelle un pactole évalué à 531 milliards de dollars. Pour les 3,4 millions de ménages, ces actifs financiers avoisinent les 156 000 $ ou une épargne moyenne de 65 585 $ per capita.

Une petite confession avant de vous quitter pour la semaine : depuis que je collige et publie ces informations financières sur l’épargne et l’investissement des familles québécoises, je vois les gens qui m’entourent différemment. Par exemple, ce matin, dans la voiture de métro qui me transportait au centre-ville de Montréal, j'ai fait mentalement le calcul suivant : 55 personnes agglutinées comme des sardines autour des poteaux ou autres soutiens, d’âge moyen, représentatives des 8,1 millions de résidents québécois X par la valeur moyenne des actifs financiers personnels (65 585 $/per capita), cette voiture de métro valait exactement 3 607 175 $. Et comme j’ai calculé que la rame comprenait dix voitures toutes aussi combles de voyageurs, j’en ai déduit qu’il y avait sous la rue Sherbrooke, à 8h32 ce matin-là, pour plus de 36 millions de dollars de valeur financière sur deux jambes. Comme dirait Loto-Québec : « Ça ne change pas le monde, mais ça peut le faire voir autrement. »

La semaine prochaine, je double la mise en vous faisant découvrir des « capitaliens remplis de promesses et d’assurance ».


[1] Rapport annuel de l’AMF sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne 2012 ›››

[2] http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/comptes-economiques/revenu-menage/rp_qc-comp.htm

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