Les capit@liens « créateurs d’emplois[1] »

2014-11-10
Normand Caron

Ils sont 741 713 dans le monde. À part quelques rares expatriés, ils sont tous concentrés sur le territoire québécois. Ils ont répondu « OUI » aux appels qui avaient été lancés par les leaders syndicaux de la FTQ en 1983 et de la CSN en 1996 afin de participer concrètement au développement économique du Québec. Pendant trente ans, ils ont constitué deux réservoirs d’épargne, de taille différente mais de forme identique, dont une portion de 60 % se retrouve dans l’avoir des actionnaires de 3 333 PME du Québec. Ils soutiennent ainsi le maintien et la création de quelque 200 000 emplois directs et indirects, financent la formation économique de milliers de travailleurs, contribuent à l’amélioration des relations de travail et bonifient leurs éventuels revenus personnels de retraite.

Regardons quelques données comparatives, tirées des rapports annuels du Fonds de solidarité (FTQ) et du Fondaction (CSN) en date du 31 mai 2009 et du 31 mai 2014 :

 

Fonds de solidarité FTQ

Fondaction CSN

Les 2 fonds consolidés

au 31 mai de chaque année 2009 2014 +/- 2009 2014 +/- 2009 2014 +/-
Actif net (en millions $) 6 375 10 126 59 % 580 1 200 107 % 6 955 11 326 63 %
Nombre d'actionnaires 570 889 613 958 8 % 87 367 127 755 46 % 658 256 741 713 13 %
Valeur de l'action (en $) 21,78 30,29 39 % 8,93 9,85 10 % n.a. n.a.  
Nombre d'entreprises 2009 2467 23 % 225 866 285 % 2 234 3 333 49 %
Nombre d'emplois créés 142 902 172 596 21 % 18 000 27 000 50 % 160 902 199 596 24 %
Ration frais de gestion 1,7 % 1,4 % -18 % 3,3 % 2,8 % -15 % n.a. n.a.  

Quelques commentaires s’imposent à la lecture de ce tableau :

D’abord, inutile de comparer la performance des deux fonds « cousins » du Québec avec d’autres semblables ailleurs. Il n’en existe plus. Dans toutes les provinces canadiennes qui ont tenté l’expérience (Colombie-Britannique, Manitoba, Ontario, Nouveau-Brunswick), de tous les « workers’ funds » comme elles les ont appelés, aucun n’a survécu. Les quelques tentatives menées en Afrique pour implanter le modèle québécois n’ont pas rencontré le succès escompté.

Pour réaliser toute l’importance que ces «  fonds de travailleurs » représentent dans le paysage financier du Québec, nous n'avons qu’à comparer leur actif net de 2014 avec celui de quelques autres institutions financières québécoises. Le tableau suivant l’illustre :

Mouvement des Caisses Desjardins 17 232 M $
Fonds de solidarité FTQ 10 126 M $
Banque Nationale 8 272 M $
Industrielle Alliance 3 668 M $
Banque Laurentienne 1 516 M $
Fondaction 1 200 M $

Une particularité de ces deux fonds d’investissement réside dans leur faible ratio de frais de gestion, compte tenu du type de gestion « très active » des investissements et des autres missions sociales qu’elles se sont données (bilan social des entreprises, formation économique des travailleurs, développement durable, etc.). Le fait que leurs responsables qui font la promotion de leurs produits et avantages dans les milieux de travail syndiqués (et même non syndiqués) soient des bénévoles et qu'ils ne touchent aucune commission, explique sûrement les écarts avec les fonds communs de placement plus traditionnels.

Autre commentaire relatif à l’aspect fiscal de ces fonds, (et qui explique peut-être leur croissance fulgurante en trente ans): en plus d’être éligibles à la coquille REER, leurs actionnaires ont bénéficié jusqu’à maintenant d’un crédit d’impôt non remboursable des deux paliers de gouvernement. Ce crédit a fluctué au cours des années, oscillant aujourd’hui entre 30 % pour le fonds FTQ et 40 % pour le fonds CSN. Toutefois, compte tenu qu’il ne reste que deux fonds actifs et en santé au Canada et que les deux résident au Québec, le gouvernement Harper a décidé d’éliminer progressivement son crédit d’impôt d’ici 2017. Cette décision a soulevé un tollé généralisé au Québec, tant du milieu syndical que patronal. L’histoire dira si les prochaines élections fédérales permettront à de nouveaux dirigeants politiques de reconsidérer cette malheureuse décision.

Dans le bilan des capitaliens québécois, un investissement dans des fonds de travailleurs doit être inscrit sur la dernière ligne de liquidité des actifs. Il se retrouve donc dansl a même catégorie que les épargnes immobilisées pour la retraite (même si certaines circonstances exceptionnelles peuvent justifier des liquidations hâtives des fonds). L’actif moyen par actionnaire des deux fonds s’élève à 15 270 $. Pour l’ensemble de la population du Québec, cet actif à long terme demeure toutefois modeste. On parle ici d’une valeur moyenne de 3 331 $ par ménage et de 1 398 $ par habitant. Je vous invite à consulter éventuellement le portrait global du patrimoine financier du capitalien québécois (à venir). Vous y verrez apparaitre ces chiffres.

Un mot très personnel avant de vous quitter pour la semaine :

Quand je compile tous ces chiffres impressionnants et que je contemple aujourd’hui ces belles réalisations (autant en signe de piasses qu’en avancées sociétales), je ne peux que me féliciter d’avoir été là, en 1983, au tout début de cette aventure. J’ai vraiment eu la chance et le privilège d’en avoir été l’un des premiers instigateurs et animateurs.

Longue vie aux « fonds cousins » du Québec!

La semaine prochaine : « Le capitalien solitaire »


[1] Vous devez savoir, par souci de transparence, que j’ai été jadis un ardent promoteur du projet de la FTQ de créer un fonds de solidarité pour l’emploi. J’y ai assumé de hautes fonctions et responsabilités, du début du Fonds de solidarité en 1983 jusqu’en 1993.

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