Le capitalien « mutualisé »

2014-10-27
Normand Caron

Ce 3e carnet présente le portrait d’un capitalien moins passif que le frileux. Je l’ai baptisé : le capitalien « mutualisé ». Comme il recherche de meilleurs rendements que ceux offerts sur les dépôts à terme ou les obligations d’épargne des gouvernements, il est prêt à prendre plus de risques. Cependant, il a généralement peu confiance en ses connaissances et habilités d’investisseur (ce qu’on appelle pompeusement aujourd’hui, la littéracie financière). Il manque peut-être aussi de temps et d’intérêt pour ce domaine d’activité humaine. Alors, il délègue ses responsabilités à des « spécialistes » de la gestion active, pour faire fructifier au mieux son patrimoine, du moins l’espère-t-il!

Dès qu’un capitalien présente des signes que son niveau de frilosité diminue ou que son seuil de tolérance au risque augmente, une armée de fantassins de l’industrie financière s’abat sur lui. Un des 37, 475 « conseillers financiers1 » actifs sur le territoire québécois, va tenter de le convaincre d’acheter des « parts » d’un des milliers de fonds d’investissement disponibles sur le marché. Ces fonds, communément appelés « fonds mutuels », ont été créés et sont administrés par des Organismes de placement collectif (OPC) accrédités.

S’il accepte l’invitation de son conseiller et achète les parts du fonds XYZ, son épargne est automatiquement dirigée vers un des 300 gestionnaires chevronnés, dont le seul et unique objectif est de « battre le marché » (c.-à-d. obtenir des rendements supérieurs à leur indice de référence). Ils visent ainsi à lui ristourner les meilleures plus-values possible, déduction faite évidemment des commissions et autres frais d’administration.

Jetons un coup d’œil sur les statistiques publiées par l’Institut canadien des fonds d’investissement (IFIC) qui confirment la popularité croissante de ce produit financier :

Valeur détenue par les ménages québécois dans les fonds communs de placement :

… en M$ CAN Fonds
 
act.
d’actions
obl.
obligataires
div.
diversifiés
al.
autres
Tot.
Total
au 31 déc. 2008 36 297 15 152 21 229 10 573 83 250 
au 31 déc. 2013 56 700 30 632 52 045 9 323 148 700 
Δ $ 20 403 15 481 30 816 (1250) 65 450 
Δ % 56 % 102 % 145 % -12 % 79 %

On peut retenir de ce tableau les faits suivants :

  • Les capitaliens « mutualisés » ont mobilisé au 31 décembre 2013 près de 150 milliards de leurs épargnes dans une multitude de fonds d’investissement;
  • Au bilan des 3,4 millions de ménages québécois, cette somme représente un actif moyen de 43 607 $ ou 18 358 $ en moyenne per capita;
  • La croissance fulgurante (près de 80 % d’augmentation sur 5 ans) de ce type de placement est la preuve que les représentants de l’industrie ont bien travaillé et ont répondu adéquatement à la demande des capitaliens;
  • Les fonds d’action connaissent une popularité constante avec une valeur de 56 milliards $, suivis par les fonds diversifiés (qui contiennent aussi un % d’actions);
  • Les fonds « obligataires » ont plus que doublé leur actif net, malgré les très faibles taux de rendement offerts sur les obligations depuis 5 ans.

Autre donnée intéressante de ce portrait de l’épargne « mutualisée » tient au fait que les fonds affiliés à une institution de dépôt (caisses Desjardins et banques à charte) ont connu une croissance régulière depuis 10 ans passant de 35,6 % du marché à 45,8 % à la fin 2013. Notons aussi que près de 45 % des sommes investies dans ces fonds le sont dans les 2 premiers mois de l’année, car elles sont utilisées comme abris fiscaux (les REÉR et les FEÉR par exemple) ce qui donne droit à des déductions ou congés d’impôt. Selon les données de l’industrie, ce véhicule d’épargne ratisse large, car plus de 65 % des investisseurs canadiens et québécois détiennent des parts de « fonds mutuels* » (anglicisme pour fonds communs de placement).

Pour terminer ce carnet, je pose la QUESTION QUI TUE : s’il reste investi pendant 10 ans dans des fonds communs de placement, est-ce que le capitalien « mutualisé » en a vraiment pour son argent? Cette question fera l’objet du prochain carnet et s’intitulera « le capitalien mutualisé… mais perplexe ». Vous devinez déjà que tout ne sera pas noir ou blanc!

1 Le terme de conseiller est trompeur et même interdit par la loi. On doit parler d’eux comme des représentants commerciaux en épargne collective. Ils doivent détenir un permis et être inscrits auprès de l’AMF. En 2013, l’AMF en encadrait plus de 37 000.

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