Un marché de dupes pour 66 % des investisseurs « mutualisés »
2016-10-20
Normand Caron
Lorsque les investisseurs achètent des parts de fonds communs de placement (« investisseurs mutualisés »), ils s’attendent à recevoir un rendement au moins supérieur aux frais qu’ils paient aux représentants et gestionnaires des institutions qui canalisent et administrent leurs épargnes. Or, selon les informations recueillies par le capitalien (qui suit de près cette « industrie » depuis plusieurs années), seulement 34 % des participants à ces fonds ont vu leurs attentes comblées au cours de la dernière période de 5 ans, laissant bredouille la grande majorité (66 %). Dans ce carnet, nous passons en revue certaines données récentes sur la performance générale de ce type de véhicule de placement collectif et tenterons éventuellement de dégager quelques leçons pour le capitalien avisé.
Parlons d’abord performance. Comment évaluer si votre gestionnaire s’est bien tiré d’affaire ou s’il s’est planté dans sa stratégie de placement? Est-il aussi efficace que les autres de son industrie? A-t-il au moins obtenu une note de passage? Pour en juger, il faut faire appel à des experts neutres, compétents et objectifs. Ceux que j’ai consultés travaillent pour la grande firme de recherche Standard & Poor’s[1], qui publie deux fois par année le palmarès SPIVA Canada[2]. Ce palmarès présente la performance des fonds communs de placement à gestion active comparée à celle des différents indices de référence développés par S&P dans leurs catégories respectives, selon la grille suivante :
Catégories de fonds | Indices de référence |
Actions canadiennes (grandes capitalisations) | S&P/TSX Composé ou S&P/TSX 60 |
Actions canadiennes (petites capitalisations) | S&P/TSX Croissance |
Dividendes et revenus fixes | S&P/TSX dividendes canadiens « aristocrates » |
Actions américaines | S&P/500 ou S&P/Dow Jones |
Actions internationales | S&P/EPAC LargeMidCap |
En autres mots, tous les gestionnaires de fonds visent à battre leur indice de référence, selon qu’ils gèrent des fonds d’action (canadiennes, américaines ou internationales) et/ou des fonds à revenu fixe. Et c’est précisément pour cette raison que les investisseurs les paient en assumant tous les frais de gestion qui leur sont facturés.
Depuis 5 ans, pour les indices canadiens, la barre n’a pas été très haute à atteindre dans la plupart des catégories de fonds, comme en témoigne le tableau suivant :
Indices de référence | 1 an % | 3 ans % | 5 ans % |
S&P/TSX Composé | -8,32 | 4,63 | 2,30 |
S&P/TSX Croissance | -10,01 | 2,21 | 0,61 |
S&P/TSX dividendes canadiens | -10,80 | 5,15 | 6,45 |
S&P/500 | 21,59 | 28,64 | 20,37 |
S&P/EPAC LargeMidCap | 19,39 | 17,46 | 11,10 |
Par exemple, un fonds d’actions canadiennes de grande capitalisation géré activement par une société de gestion, avec un ratio des frais de gestion de 2,58 %, aurait dû générer sur 5 ans un rendement annualisé minimum de 4,88 % pour atteindre ou surpasser le rendement de son indice de référence, soit le 2,30 % du S&P/TSX composé. Facile, me direz-vous? Pas si concluant que cela, comme le démontre le tableau suivant tiré du rapport SPIVA de décembre 2015 et qui présente le rendement net moyen de l’ensemble des fonds communs dans chaque catégorie :
Indices de référence et fonds | 1 an % | 3 ans % | 5 ans % |
S&P/TSX Composé | -8,32 | 4,63 | 2,30 |
Fonds d’actions canadiennes (grande capitalisation) | -7,26 | 6,09 | 2,39 |
S&P/TSX Croissance | -10,01 | 2,21 | 0,61 |
Fonds d’actions (petite capitalisation) | -5,87 | 7,01 | 2,93 |
S&P/TSX dividendes canadiens | -10,80 | 5,15 | 6,45 |
Fonds de revenu fixe et dividendes | -5,90 | 5,82 | 4,74 |
S&P/500 | 21,59 | 28,64 | 20,37 |
Fonds d’actions américaines | 14,29 | 22,22 | 14,49 |
S&P/EPAC LargeMidCap | 19,39 | 17,46 | 11,10 |
Fonds d’actions internationales | 15,96 | 13,62 | 8,22 |
Pour l’ensemble des fonds communs de placement canadiens (sauf ceux de petites capitalisations), le rendement net moyen peine à atteindre celui de leur indice de référence. C’est principalement évident lorsqu’il s’agit des fonds d’actions américaines et internationales, qui sont carrément déclassés face à leur indice.
Le tableau suivant montre le pourcentage de fonds canadiens de toute catégorie qui ont sous-performé par rapport à leur indice de référence respectif. Vous constaterez que les plus performants (50 %) se situent dans la catégorie des fonds d’action de petites capitalisations où il est encore possible pour un gestionnaire de dénicher des entreprises prometteuses et de les inclure dans son portefeuille.
Indices de référence et catégories de fonds | 1 an % | 3 ans % | 5 ans % |
S&P/TSX Composé | |||
Fonds d’actions canadiennes (grande capitalisation) | 57,41 | 52,38 | 34,25 |
S&P/TSX Croissance | |||
Fonds d’actions (petite capitalisation) | 80,00 | 64,52 | 50,00 |
S&P/TSX dividendes canadiens | |||
Fonds de revenu fixe et dividendes | 82,86 | 61,11 | 23,81 |
S&P/500 | |||
Fonds d’actions américaines | 14,67 | 3,80 | 1,07 |
S&P/EPAC LargeMidCap | |||
Fonds d’actions internationales | 21,05 | 17,07 | 6,98 |
Pour les investisseurs qui détiennent des fonds d’actions canadiennes et des fonds de revenu fixe, la probabilité est forte qu’ils se retrouvent dans la catégorie des 66 % de perdants pour les actions et des 76 % de perdants pour les revenus fixes. Ils n’ont même pas pu obtenir un rendement équivalent au ratio de frais de gestion qu’on leur a chargé. C’est encore plus dramatique pour ceux qui ont acheté des parts de fonds d’actions américaines ou internationales. Ils auraient eu tout avantage à acheter des billets de loterie plutôt que d’engouffrer leurs épargnes dans de tels fonds.
Maigre prix de consolation pour tous ceux qui assistent impuissants à ce transfert de richesses : ils contribuent à la solidité de notre système bancaire canadien (réputé le plus stable au monde!) en versant des frais de gestion plantureux aux intermédiaires de cette industrie où les banques occupent 50 % de parts de marché.
[1] Standard & Poor's (S&P) est une filiale de McGraw-Hill qui publie des analyses financières sur des actions et des obligations. C'est une des trois principales sociétés de notation financière, avec des concurrents comme Moody's, Fitch Ratings… Elle est connue sur le marché pour son indice boursier américain S&P 500 et pour le pendant canadien, le S&P TSX.
[2] Disponible en anglais seulement sur l’internet à l’adresse suivante : http://www.spindices.com/documents/spiva/spiva-canada-scorecard-yearend-2015.pdf