Être si loin et si près à la fois…

2014-12-03
Louise Champoux-Paillé

Lors de la dernière publication des Board Games du Globe and Mail, deux statistiques m’ont interpellée : 7 % des entreprises du S&P/TSX divulguent leur stratégie pour accroître la représentation féminine au sein de leurs conseils d’administration et seulement 4 % se dotent d’un objectif à ce chapitre. Après des décennies d’efforts pour faire connaître le vaste bassin de talents féminins pour siéger à des conseils ainsi que promouvoir la complémentarité de vision qu’une présence féminine accrue peut apporter à la prise de décision, on peut se questionner sur les raisons qui freinent les organisations à s’engager plus à fond dans la voie de la féminisation de leurs conseils.

Les arguments de la première heure sont de moins en moins valables : un nombre insuffisant de femmes pour répondre aux besoins, l’absence de moyens pour les repérer, le non-intérêt de certaines ou plusieurs femmes pour de telles fonctions pour ne citer que les plus mentionnés. Depuis quelques décennies, tant au Québec qu’au Canada, le nombre de diplômés universitaires féminins dans plusieurs disciplines recherchées par les conseils d’administration est assez souvent égal ou dépasse le nombre de diplômés du sexe masculin. Quant à l’occupation de fonctions stratégiques au sein des organisations, les femmes sont de plus en plus présentes et sont ainsi prêtes à être d’excellentes candidates pour des postes administrateurs. Le bassin de talents féminins est riche et leurs noms sont de plus en plus connus grâce à leur occupation de fonctions offrant une grande visibilité, l’existence de répertoire de talents féminins, la complicité des médias ou leur rayonnement et leur participation aux activités socio-économiques. Elles sont de plus intéressées à siéger à ces conseils comme en témoigne leur participation à de nombreux programmes de formation en gouvernance et leur contribution dans de nombreux projets sociaux.

Si la participation des femmes est supérieure à celle de la fin du siècle dernier, elle est loin du taux de participation qu’il devrait atteindre en raison de l’envergure du talent disponible. Existerait-il dans les critères de sélection des candidatures pour de tels postes des éléments qui favorisent davantage l’accès des hommes que des femmes? Citons à cet égard l’exigence d’avoir occupé un poste de PDG – peu de femmes occupent encore aujourd’hui de telles fonctions malgré leurs connaissances et leurs compétences – ou celle d’avoir déjà siégé à un conseil d’administration. Ces deux exigences freinent l’accès des femmes à des conseils d’administration, mais également des jeunes talents tant masculins que féminins qui pourraient constituer une valeur ajoutée pour nos conseils d’administration. Ne serait-il pas souhaitable de revoir ces critères pour les remplacer par d’autres qui ouvriraient la porte à des administrateurs de haut calibre provenant des postes de la haute direction (vice-présidents) et des personnes ayant suivi une formation en gouvernance de sociétés (ASC, IAS.A) qui disposent des connaissances et des compétences requises. Un nombre grandissant de femmes et d’hommes suivent ces formations et constituent des valeurs ajoutées sûres. Parmi ces titulaires de formation en gouvernance, les femmes sont nombreuses et constitueraient sans aucun doute des candidates fort valables. Pourquoi les entreprises, à l’aube de profondes transformations, ne favorisaient-elles pas le recours à de nouveaux talents en fixant des limites de mandats pour les administrateurs? Pourquoi n’envisageraient-elles de plus d’avoir recours à des professeures d’université ayant une connaissance profonde de certains secteurs industriels, mais sans conflit d’intérêts… Cette pratique étant beaucoup plus fréquente aux É.-U.-d’A. qu’au Canada?

Souvent, l’objectif d’une représentation significative est appuyé, mais à condition, ajoute-t-on, que la qualité soit au rendez-vous. Tant la qualité que le nombre sont suffisants. Faisons un simple exercice en utilisant, comme point de comparaison les 100 plus importantes entreprises canadiennes qui comptent généralement 11 membres de conseils d’administration et 18 % de représentation féminine. Dans cet exemple, il faudrait, pour atteindre une représentation de 40 %, que ces entreprises proposent, au cours des prochaines années, la candidature de 242 femmes compétentes. Ce potentiel existe-t-il? Sans aucun doute. Est-ce qu’il existe en nombre plus important afin que les entreprises aient le choix des personnes qui conviendront le mieux à leurs besoins? La réponse est oui. Une donnée qui donne espoir : une étude au Québec non encore public montre que la garde montante d’administrateurs (moins de 50 ans et siégeant déjà sur les conseils de deux sociétés cotées) est constituée de 70 % de femmes!

Ce qu’il faut, c’est un engagement des entreprises à prendre les moyens pour que les femmes, tout autant que les hommes, puissent contribuer au succès de celles-ci, et ce, tant au sein des conseils d’administration que des postes de direction afin que la relève soit définitivement présente. Cet engagement doit prendre la forme d’actions concrètes et d’objectifs qui soient le reflet d’une volonté d’avoir recours aux meilleurs talents qu’ils soient féminins ou masculins.

Est-ce utopique? Certainement pas : si le taux de rotation des conseils se maintient (environ 7 % par année), il faudrait 4 ans si on ne nomme que des femmes en remplacement; si on nomme une femme pour deux vacances, il faudrait 8 ans[1]!

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Louise Champoux-Paillé, C.Q., F.Adm.A., ASC, MBA
Lauréate du Prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne » pour l’année 2014


[1] Blogue-Yvan Allaire, 16 octobre 2012

Ce texte, dans le Globe and Mail ›››

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