Salves contre la financiarisation des entreprises
3 juin 2022
Dominique Lemoine
Le capitalisme d’actionnaires est à blâmer pour les écrasements d’avions 737 Max de Boeing, selon un livre publié cette semaine par le journaliste David Gelles du New York Times.
Le livre porte sur l’impact du chef de la direction de General Motors de 1981 à 2001, Jack Welch, sur le comportement de ses pairs, notamment sur celui de trois dirigeants successifs chez Boeing, qui à partir de 1997 ont transformé le manufacturier centenaire en entreprise davantage motivée par l’ingénierie financière que concentrée sur l’ingénierie aéronautique.
Dans une entrevue accordée à Forbes, David Gelles a affirmé que des ingénieurs, pilotes d’essai et employés intermédiaires pour Boeing pensaient au prix de l’action au moment de prendre des décisions de sécurité. « La prise en compte du cours de l’action a ruisselé jusqu’au niveau de personnes qui devraient être concentrées sur la qualité et la sécurité de l’avion, pas sur Wall Street ».
Selon Gelles, Jack Welch et ses disciples croyaient que « le but de l’entreprise est d’accroître ses profits », ainsi qu’en maximiser la valeur pour l’actionnaire par tous les moyens nécessaires, dont des mises à pied, externalisations, délocalisations, rachats et acquisitions, aux dépens d’autres parties concernées, et malgré les dégâts causés à des entreprises qui ont adhéré à ces dogmes.
À son avis, Jack Welch, Milton Friedman, Friedrich Hayek et ceux qui s’en réclament ont fait partie d’un projet générationnel inéquitable, qui a brisé l’âge d’or du capitalisme d’après la Deuxième Guerre mondiale, et qui sera suivi par un autre projet générationnel de rééquilibrage vers une économie sociale plus égalitaire, passant par le capitalisme de parties concernées et les critères ESG.
Un économiste publié par The Guardian ajoute Margaret Thatcher à cette liste. Il rappelle que dans les années 1970 une « nouvelle droite » a surgi de think tanks des deux côtés de l’Atlantique, pour s’opposer aux syndicats et programmes sociaux d’après-guerre, avec le projet de rétablir la suprématie des nantis, détenteurs d’actifs, élites financières et créanciers, ainsi que des profits garantis sans entraves sociales ni prise de risques.
La part des privilégiés et des rentiers découle de choix, et non pas de lois immuables, laisse entendre David Gelles.
Relents réactionnaires au retour du pendule
Un texte d’opinion publié le semaine dernière par le Wall Street Journal laisse entendre que le déjeuner chez McDonald’s n’aurait plus été « abordable », si une proposition de l’actionnaire Carl Icahn d’accroître l’espace vital d’animaux chez les fournisseurs de viande de McDonald’s avait été acceptée par les autres actionnaires, en plus de se moquer à répétition d’« émotions » de Carl Icahn.
David Gelles a aussi rapporté que l’État de la Virginie-Occidentale, dans le cadre d’un effort organisé, a retiré de l’argent confié au gestionnaire d’actifs BlackRock à cause de ses interventions climatiques auprès d’entreprises, et des lois discutées dans 16 États pour faire pression sur des entreprises du secteur privé dites « activistes » pour qu’elles abandonnent leurs actions et leurs engagements environnementaux et sociaux.
Le Financial Times parle d’une guerre en réaction à l’idée que la raison d’être des entreprises puisse inclure davantage que les profits. Selon quelqu’un comme Ben Shapiro, qui cite Hayek, cette idée est « arrogante » et « élitiste », au même titre que la vertu, vouloir améliorer l’État du monde, vouloir servir plus que son seul intérêt et vouloir assumer ses responsabilités sur le sort des parties concernées.
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