Derrière des portes closes
2020-02-14
Willie Gagnon, Le MÉDAC
La Corporation Financière Power tenait cette semaine l’assemblée extraordinaire de ses actionnaires nécessaire à disposer de la résolution visant sont intégration à la société mère Power Corporation du Canada. Non seulement l’assemblée n’a-t-elle pas été suivie d’une conférence de presse — comme c’est normalement la pratique générale des sociétés ouvertes (cotées en Bourse) —, mais encore les journalistes ont-ils été interdits d’entrée dans la salle d’assemblée. « Seuls les actionnaires inscrits sont admis à l’assemblée spéciale, et aucune entrevue ne sera accordée. », de préciser Stéphane Lemay, vice-président, chef du contentieux et secrétaire de la Corporation Financière Power. Cela est proprement condamnable, voire carrément inacceptable.
Il est bien sûr de la prérogative du président d’assemblée de toute société par actions, au nom des actionnaires, de décider d’admettre ou non d’autres personnes que les actionnaires eux-mêmes dans une assemblée. Cela va de soi.
Il n’en demeure cependant pas moins inhabituel de refuser l’accès d’une assemblée à des journalistes. L’admission des journalistes dans les assemblées d’actionnaires est non seulement la norme, mais il est extrêmement rare qu’elle leur soit refusée. Les exemples récents des assemblées de Produits forestiers Résolu (2011) et de Pages Jaunes (2019) constituent l’exception (rare) plutôt que la règle.
Qui plus est, la tenue d’une conférence de presse à la suite d’une assemblée est attendue, dans presque tous les cas (à l’exception de Metro inc. récemment).
Il va sans dire que le droit de parole à l’assemblée d’une société ouverte devrait être limité aux actionnaires, à moins que ceux-ci n’en conviennent autrement de manière formelle. Ils sont souverains en l’instance.
Cependant, il est franchement injustifiable, tout autant sur le plan moral que sur le plan de l’intérêt public, de refuser l’accès des journalistes à une assemblée.
L’ensemble des obligations réglementaires d’information continue touchant les sociétés ouvertes exigent d’elles la divulgation publique des informations les concernant.
Le principe général de transparence à la base de l’intention du Législateur quant au caractère public de cette divulgation devrait présider à l’interprétation des devoirs fiduciaires des sociétés ouvertes, dans leur comportement envers l’ensemble de la population. Le Législateur a jugé, depuis longtemps déjà, que l’information concernant les entreprises dont les titres peuvent circuler librement sur le marché devait être accessible au public, sur la base de ce que tout le monde peut se les procurer.
Le travail des journalistes et des entreprises qui les emploient vise en effet l’intérêt public, justement. Aussi, les sociétés par actions doivent tenir compte des intérêts de l’ensemble des parties intéressées (parties prenantes), au nombre desquelles se trouve, a priori, le public.
Nous voyons très mal comment il est possible de conjuguer ces obligations avec des restrictions aussi contraignantes que l’exclusion des journalistes des assemblées, l’absence de conférence de presse, l’interdiction d’enregistrer les séances ou d’y prendre des photos, voire la coupure du flux de diffusion en fonction des intervenants au micro, entre autres pratiques contestables.
Nous osons nous permettre d’espérer que ce genre de choses n’arrivera plus et nous n’aurons de cesse d’exercer toutes les pressions possibles en ce sens, notamment sur l’État et les sociétés ouvertes.