La compagnie Beaudoin-Bombardier inc.

2018-11-16
Willie Gagnon, Le MÉDAC

Le sentiment d’aliénation de la population au sujet de Bombardier est manifeste et palpable. Il y a plusieurs raisons à cela.

D’abord et avant tout, les sommes colossales d’argent versées par l’État dans ce fleuron n’ont pas servi à acheter des actions de la compagnie. Par conséquent, l’État abdique le pouvoir qu’il aurait eu en tant qu’actionnaire et en prive tous les contribuables, qui sont ceux qui paient. Jacques Parizeau en formulait très clairement le principe en 2011.

« La meilleure façon de procéder serait de mettre sur pied une société qui échangerait tout ce que le gouvernement ou ses sociétés d’État dépensent pour les entreprises contre des participations à l’actionnariat de ces entreprises, quelle que soit leur taille. […] En fait, il faut que les entreprises comprennent que, lorsqu’elles demandent quelque chose, elles vont se retrouver à augmenter la participation de l’État. »

— Jacques Parizeau, Le Devoir, 21 novembre 2011 

Par ailleurs, Bombardier donne l’impression persistante de ne pas tenir compte de l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes, notamment les travailleurs, les fournisseurs et la collectivité. L’on comprend bien que la jurisprudence (affaire BCE 2008 CSC 69, paragraphe 39) ne l’y oblige pas ici, contrairement à la Loi au Royaume-Uni (section 172 du Companies Act). Cette jurisprudence oblige cependant les administrateurs de l’entreprise à « traiter de façon juste et équitable chaque partie intéressée touchée par les actes de la société ». Il en va de ce que, dans l’intérêt de tous, une entreprise devrait toujours viser le rendement à long terme, grand principe de base de la bonne gouverne d’entreprise. Or, comment le rendement à long terme peut-il être envisagé sans le respect des parties prenantes?

C’est précisément là le sens de ce que soulignait la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) dans la lettre  qui exposait à Bombardier les motifs justifiant son vote contre la politique de rémunération et contre la réélection du président-exécutif du conseil en 2017.

« À notre avis, une composante clé du mandat d’un conseil d'administration est d'agir comme le fiduciaire des relations avec les parties prenantes de la société, soit d’être le gardien de sa réputation auprès des investisseurs, des gouvernements, des communautés et, en collaboration avec la direction, de ses employés. Cela est particulièrement important pour Bombardier puisqu’elle livre concurrence à des entreprises qui bénéficient d'un appui substantiel de leurs parties prenantes dans leur pays d’origine. »

— Kim Thomassin, Première vice-présidente, Affaires juridiques et Secrétariat, CDPQ

Qui plus est, la famille Beaudoin-Bombardier possède seulement 13,26 % du total des actions de la compagnie, mais ses actions lui confèrent 53,23 % des droits de vote, soit le contrôle de l’entreprise.

Il est communément admis que l’existence d’actions à droit de vote multiple devrait servir des objectifs précis, notamment le souci du rendement à long terme et la défense contre les prises de contrôle non souhaitées. Les grands investisseurs institutionnels s’entendent à peu près tous cependant au sujet de l’idée que le recours à ce type d’actions soit encadré, notamment par des clauses permettant la protection des intérêts des actionnaires minoritaires, des clauses crépusculaires (Couche-Tard) ou des dispositions dérogatoires sur certaines questions. Plusieurs jugent aussi souhaitable que les actionnaires qui détiennent le contrôle d’une société par le truchement d’actions multivotantes détiennent minimalement 20 % du total des actions, toutes catégories confondues. Ça n’est pas le cas chez Bombardier.

Il existe également d’autres moyens pour protéger les sièges sociaux des fleurons de l’économie, notamment la détention du tiers des actions (Saputo). Le rapport Séguin  proposait d’ailleurs tout un train de mesures à cet effet en 2014. Le nouveau gouvernement devrait s’y pencher.

Fin octobre 2015, Investissement Québec injectait 1 milliard de dollars étasuniens dans une société dont le contrôle a aujourd’hui été cédé à Airbus. Le mois suivant, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) versait 1,5 milliard de dollars étasuniens dans Bombardier Transport (BT Holdco), une société du Royaume-Uni qui regroupe « tous les actifs du secteur d'activités Transport […] de Bombardier ». Si l’État avait plutôt acheté des actions de Bombardier avec cet argent, il détiendrait près de 40 % des actions de la compagnie, soit une minorité de blocage.

Depuis plusieurs années déjà, Bombardier se fait démanteler, morceau par morceau : Bombardier Produits récréatifs, Bombardier Transport, formation des pilotes, CSeries, etc. La mainmise des actionnaires de contrôle demeure cependant ferme sur l’ensemble des sociétés rentables issues de ce démantèlement.

Finalement, comme si tout cela n’était pas déjà largement suffisant à décevoir tout le monde, l’Autorité des marchés financiers (AMF) ouvre une enquête sur des rumeurs de délits d’initiés. L’AMF doit immédiatement révoquer son autorisation du Régime d’aliénation de titres automatique (RATA) demandée le 15 août et accordée le 14 septembre. L’AMF doit également ordonner la divulgation de toutes les transactions intervenues dans le cadre de ce régime. Toute cette affaire mine directement la confiance des investisseurs.

Il semble manifeste que les intérêts de la famille ont désormais pris le dessus sur ceux de tous les autres.

Cela doit impérativement cesser.

Nous suivrons le dossier de très près.

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514-286-1155

La fiche du MÉDAC sur Bombardier pour 2018 ›››

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