Détournement du droit des actionnaires par les fonds spéculatifs
7 septembre 2018
Dominique Lemoine
Des réformes accordant plus de droits aux actionnaires mises en place aux États-Unis depuis 1980 auraient contribué à accroître l’influence de fonds spéculatifs prédateurs, selon un professeur-chercheur en économie et en extraction prédatrice de valeur.
Dans un texte publié sur un blogue de l’école de droit de l’Université Columbia qui traite des sociétés par actions et des marchés financiers, Jang-Sup Shin rappelle que des fonds spéculatifs réussissent désormais souvent à forcer des entreprises à procéder à des restructurations fondamentales pour accroître à court terme la valeur des rachats d’actions sur le marché et du dividende, tout en demeurant des actionnaires minoritaires.
À son avis, ce rapport de force contraste avec celui qui était observé au début des années 1980, alors que pour obtenir un niveau similaire de pouvoir les « prédateurs » de sociétés par actions devaient avoir la capacité financière de devenir actionnaires majoritaires des entreprises ciblées, ainsi que de faire face à des batailles judiciaires avec les actionnaires de contrôle en place.
Entre alors et maintenant, explique Jang-Sup Shin, sous le couvert de la « démocratie actionnariale », le gouvernement des États-Unis a mis en place des réformes qui, en fin de compte, ont préparé le terrain pour les fonds spéculatifs prédateurs.
Historique des réformes réglementaires :
U.S. Department of Labor (1988) : la publication de l’Avon Letter par le DOL rend le vote par procuration obligatoire pour les caisses de retraite.
Free communication and engagement (1992, 1999) : l’ensemble de réformes permet aux actionnaires minoritaires (les individus, mais aussi les fonds spéculatifs) de regrouper leurs votes, de former des « cartels » d’influence et de se comporter en « meutes de loups ».
National Securities Markets Improvement Act (1996) : la déréglementation permet aux fonds spéculatifs d’accumuler des ressources financières illimitées qui proviennent d’investisseurs institutionnels fiduciaires sans devoir renoncer aux placements spéculatifs, donc aussi des campagnes d’influence conjointes.
Securities and Exchange Commission (2003) : le vote par procuration obligatoire est étendu par la SEC à tous les investisseurs institutionnels, dont les fonds communs de placement.
Shin rappelle que l’idée de « démocratie actionnariale », ainsi détournée au bénéfice de fonds spéculatifs prédateurs qui parviennent à obtenir l’oreille attentive d’investisseurs institutionnels fiduciaires obligés de voter, visait plutôt depuis le début du 20e siècle la création de cohésion sociale par la distribution aux citoyens et aux investisseurs individuels d’actions et de droits actionnariaux pour orienter les sociétés par actions vers l’investissement en création durable de valeur.
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