📷 Julien Tromeur, Unsplash

Assemblées annuelles : dérive virtuelle

2023-05-09
Le MÉDAC

Longtemps après la fin des mesures sanitaires imposées par l’État, plusieurs sociétés ouvertes n’ont toujours pas tenu d’assemblée annuelle en personne, contraignant tous leurs actionnaires à des assemblées strictement virtuelles encore une fois cette année. Cela va à l’encontre de l’esprit de la Loi qui impose la tenue d’assemblées annuelles depuis des centaines d’années. Cette obligation séculaire, loin d’être fortuite, vise à compenser l’effet de distorsion engendré par le fait que les actionnaires délèguent aux administrateurs, par voie d’élection, certaines prérogatives du droit de propriété qu’ils auraient autrement sur l’entreprise, celui-ci se trouvant ainsi démembré.

Le MÉDAC, sur le plancher virtuel des assemblées d’actionnaires de plusieurs sociétés ouvertes dont il est actionnaire, a demandé à connaître les raisons pour lesquelles ces entreprises ne tenaient pas d’assemblées en personne. Les réponses, qui sont toutes inacceptables, ne nous surprennent évidemment pas, mais ont de quoi inquiéter gravement les épargnants et investisseurs, voire le commun des mortels.

D’abord, il est toujours argué que les assemblées virtuelles permettent la participation de plus de gens que les assemblées en personne. Soit. Si c’est le cas, quels sont les chiffres? Aussi, en quoi l’abolition des assemblées en personne permet-elle, elle, de joindre plus de gens? En effet, permettre la participation à une assemblée par des moyens virtuels n’empêche en rien la tenue de l’assemblée en personne. Plusieurs sociétés ont d’ailleurs tenu l’assemblée annuelle de leurs actionnaires dans un format hybride — ajoutant un plancher virtuel au plancher de l’assemblée en personne — cette année, à commencer par les banques (toutes, sans exception…).

Ensuite, la question des coûts est toujours invoquée. Ceci n’est pas un argument. Tenir une assemblée n’est pas une option. Bien sûr, les dépenses d’une entreprise doivent être gérées de manière responsable. Mais il n’est absolument pas déraisonnable de louer une salle, des tables et des chaises pour réunir des gens. Bien sûr, il y a d’autres dépenses engendrées par une assemblée, mais elles sont pour la plupart superfétatoires, sinon, dans plusieurs cas, nécessaires pour la tenue d’assemblées virtuelles aussi.

Il est également un autre « argument* » qui nous a été servi : la technologie. Bien sûr, Internet permet des choses qui n’étaient pas possibles avant. Ceci dit, l’avènement du télégraphe et téléphone auraient aussi permis de faire des assemblées à distance, mais ça n’est pas arrivé. Il n’est alors venu à l’esprit de personne d’abolir les assemblées en personne pour les remplacer par des assemblées au téléphone ou en morse. Qui plus est, lors des assemblées virtuelles organisées par Internet, il est souvent prévu de ne pas permettre aux actionnaires d’interpeller verbalement l’assemblée, actionnaires qui en sont généralement réduits à devoir user d’un mécanisme de clavardage rudimentaire, en différé. On se ramasse alors bien en deçà de ce que permettrait une assemblée au téléphone. C’est tout simplement consternant. Il nous est même arrivé de voir nos questions écrites tronquées en assemblée, voire carrément paraphrasées à l’avantage de l’entreprise plutôt que simplement lues. Cela n’arrive pas quand nous sommes au micro dans des assemblées en personne et que nous prononçons verbalement nos interventions dans leur intégralité. Outre cela, il est rarissime de pouvoir être vu à l’assemblée, ce qui va de soi en assemblée en personne. Les sociétés qui permettent d’intervenir en visiophonie se comptent en effet sur les doigts d’une seule main, ce qui apparait totalement invraisemblable à l’heure des réunions virtuelles de toutes sortes.

Une assemblée en personne permet tout un tas de choses qui ne sont pas possibles par Internet : voter à main levée et voir qui vote quoi; voir son voisin de chaise; reconnaître une personne dans la salle (qu’elle soit simple actionnaire, employée, organisatrice, dans la direction ou administratrice…); s’adresser verbalement à l’agent de transfert, à la table d’inscription et y échanger des documents, voire des signatures; discuter avec plusieurs autres actionnaires avant, pendant et après l’assemblée; serrer des mains; etc. Si ça n’était pas de ces éléments essentiels des assemblées en personne, il aurait probablement été prévu procéder par la poste, à l’origine, du temps de la Magna Carta. Mais non. Les assemblées sont obligatoires depuis des centaines d’années, nous le répétons — même si la répétition est le dernier des arguments valables.

Les autorités règlementaires devraient immédiatement se saisir du grave problème que pose cette situation grotesque et agir rapidement, par l’émission de lignes directrices claires, voire de nouvelles dispositions règlementaires, aux fins de faire respecter l’esprit de la Loi quant à la tenue d’assemblées annuelles d’actionnaires en personne. Au besoin, ces autorités devraient émettre des recommandations à l’État, voire en s’adressant directement au Législateur, par le truchement des mécanismes prévus à cet effet. Les événements récents, sur ces questions, devraient occuper ces autorités en priorité, de manière à ce qu’ils ne puissent pas, d’aucune manière, constituer des précédents en la matière.

société type d’assemblée en 2023
  en personne virtuelle
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