Tous les actionnaires (ou presque) votent contre le français
2022-06-10
Willie Gagnon, Le MÉDAC
La proposition d’actionnaire du MÉDAC visant à intégrer le français aux statuts des entreprises du Québec a été rejetée par à peu près tous les actionnaires — y compris les plus grands investisseurs institutionnels — de toutes les sociétés ouvertes à qui elle a été adressée, dans des proportions d’environ 99 %. Ces résultats faméliques reflètent très mal l’importance de cette question et la mettent, paradoxalement, en exergue. Cette question est en effet d’une telle importance qu’elle a eu des échos jusques aux plus hautes sphères de l’État, y compris le premier ministre.
Le respect de la diversité qu’incarne la langue, attribut de la collectivité nationale
À la suite de ce que plusieurs assemblées annuelles de sociétés ouvertes — dont le siège est au Québec ou ailleurs dans la fédération, notamment la Banque Laurentienne du Canada et Saputo inc. — se soient déroulées exclusivement en anglais dans les années passées et dans la suite des désolants épisodes de crise de nerf linguistique, sur la place publique, chez Air Canada et à la Compagnie des Chemins de Fer Nationaux du Canada, le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires soutenait cette année (2022) une proposition d’actionnaire visant à résoudre ce problème de responsabilité sociale d’entreprise sur la base de principes objectifs et de moyens d’action collective. Il s’agit en effet du respect d’un des attributs fondamentaux de la diversité, qui va même jusqu’à être inscrit au cœur de nos institutions, y compris constitutionnelles. La proposition s’inscrivait également dans la foulée du projet de Loi 96, aujourd’hui adopté, et du projet d e Loi modifiant la Loi sur les langues officielles du fédéral.
Le principe et les moyens
La proposition était fondée sur le principe objectif de l’endroit où se trouve le siège social de chaque société. La proposition visait la personne morale (l’entreprise) que constitue chaque société ouverte et non les personnes physiques qui y sont. Il s’agissait là du principal moyen retenu pour sortir formellement du débat moral entourant cette question, débat moral que nous déplorons.
La proposition prévoyait l’inscription de la question de la langue aux statuts de la société, de manière à ce qu’il ne soit plus possible d’écarter le français comme par le passé, notamment (et non seulement…) aux assemblées annuelles.
La proposition aurait eu pour effet d’obliger le conseil d’administration à traiter la question de la langue sans pouvoir l’écarter. Aussi, en l’inscrivant aux statuts, la proposition visait à ce qu’il soit nécessaire de convoquer une assemblée générale extraordinaire et d’obtenir une majorité qualifiée pour changer cette obligation, si toutefois et contrairement à l’esprit de Loi le conseil d’administration le souhaitait formellement.
Le MÉDAC est toujours d’avis que cette obligation découle de l’esprit de la Loi. Les sociétés ouvertes se permettent cependant d’interpréter cet esprit autrement, à tort selon nous, et la proposition visait à combler cette distorsion. La proposition se fondait sur l’esprit de la Charte de la langue française ― et non sa lettre — concernant « l’utilisation généralisée » (art. 141(2)) du français.
Ce que la proposition ne visait pas
La proposition ne visait évidemment pas à ce qu’il soit interdit de mener des affaires, dans les opérations, dans une autre langue que le français. Il est entendu que l’utilisation d’une autre langue que le français peut être nécessaire en fonction de la clientèle, des fournisseurs étrangers ou des législations des territoires où l’entreprise exerce certaines de ses activités.
La proposition ne visait pas non plus à invalider des contrats signés à l’extérieur du Québec, dans une autre langue que le français.
La proposition laissait également ouverte, pour le conseil d’administration, la question de savoir comment juger de chaque situation, au cas par cas, de manière flexible, avec pour seule obligation de tenir compte de la question de la langue, française, sans pouvoir l’écarter.
Il eût par exemple été parfaitement concevable que, dans le respect de cette obligation, le conseil d’administration d’une société ouverte choisisse en toute connaissance de cause d’embaucher un PDG incapable de parler français, mais que ce même conseil prévoie des mesures pour mitiger l’effet de distorsion engendré par cette embauche au regard de l’esprit de la Charte voulant qu’il faille une connaissance suffisante du français pour en assurer l’« utilisation généralisée » au siège de l’entreprise et partout au Québec, voire partout dans l’entreprise. Un interprète? Un adjoint? Un service automatisé? Un porte-parole? Les solutions sont nombreuses. Elles seraient nécessaires.
Les pistes de solutions de rechange, à la pièce
Plusieurs sociétés à qui la proposition a été envoyée ont manifesté leur inconfort quant aux conséquences juridiques qu’engendrerait la mise en œuvre de la proposition, notamment au sujet de l’absence (présumée) presque totale de jurisprudence sur la question.
Aussi, certaines entreprises ont proposé des pistes de solution de rechange à certains aspects du problème de responsabilité sociale que constitue la langue ici.
Notamment, il a été suggéré de déclarer, au tableau des compétences des administrateurs, les langues qu’ils maîtrisent (à un niveau de connaissance et de compétence élevé). Il a également été suggéré d’inclure le français dans la liste des critères d’embauche des dirigeants, y compris le PDG. Plusieurs sociétés se sont par ailleurs engagées ne plus faire d’assemblée sans français. Nous saluons ces engagements et cette ouverture au dialogue.
Le MÉDAC se désole cependant du très faible appui des actionnaires à sa proposition. Il s’agit d’ailleurs du même niveau d’appui à peu près partout, ce qui nous apparaît très étrange. Pourquoi?
Le MÉDAC regrette également que la réforme de la Charte n’ait pas prévu de dispositions semblables à la proposition, ce qui aurait eu pour avantage utile de traduire l’esprit de la Charte de manière à l’incarner concrètement.
Quoi qu’il en soit, le MÉDAC continuera, comme il le fait depuis plusieurs années déjà et dans l’esprit de son fondateur M. Yves Michaud, le Robin des banques, à mener le dossier de la langue sur le plancher des assemblées annuelles des plus importantes sociétés ouvertes, a mari usque ad mare.