S’ouvre le fossé générationnel, les jeunes trouvant les vieux dépassés...
Pourquoi cette bulle du bitcoin est fantastique
2017-12-19
Daniel Germain, Les Affaires
Une petite nouvelle qui n’a rien d’anodin du tout a été publiée hier sur Bloomberg. On y raconte comment l’action d’une obscure compagnie américaine en fintech a explosé de 2 400 % en une semaine après qu’elle ait annoncé l’acquisition d’un non moins obscur fournisseur de solutions de microcrédit.
Les investisseurs se sont emballés du fait que les services en question, fondés sur les technologies de blockchain, ne négociaient que des cryptomonnaies. Les mots magiques étaient là. N’importe quelle entreprise qui se réclame de ce créneau devient une coqueluche, qu’elle repose ou non sur un modèle d’affaires viable n’est même plus pertinent. Pourquoi s’embarrasser de ce détail ?
Signe des temps, sur le site de Bloomberg, juste au-dessus de la nouvelle, il y avait ce bandeau publicitaire qui faisait la promotion de contrats à terme sur le bitcoin: The First U.S. Bitcoin Futures. Long. Short. Edge.
Vous percevez la même chose que moi? Il y a comme une ambiance de l’an 2000, vous ne trouvez pas? L’excitation monte de semaine en semaine. Je ne peux vous dire quand on atteindra le climax, mais je sens que ça vient.
À l’aube de l’an 2000, les gens de plus de 40 ans s’en souviennent, c’était l’époque de la «nouvelle économie». Il suffisait de mettre «.com» dans sa raison sociale pour ameuter les investisseurs. Ce qu’il y avait de nouveau, dans cette économie, c’est que les entreprises étaient alors libérées de certains impératifs, comme réaliser des profits, ou même espérer en faire. Le marché attribuait des valeurs hallucinantes à des bineries.com.
Il y a longtemps qu’on n’a pas vu une pareille frénésie. Mais ça y est, je crois. Je voudrais bien vous offrir une analyse savante de la situation, mais je ne suis pas un économiste. Mais est-ce utile dans un contexte saturé d’émotions?
On compare le bitcoin, la mère des monnaies virtuelles, à une valeur refuge, à l’or, mais je ne saurais vous dire si cette comparaison a du sens. Refuge de quoi au fait? En quoi une chose dont la valeur a été multipliée par 10 en quelques semaines peut-elle représenter un abri? Quelqu’un peut-il m’expliquer?
Hier encore, je lisais que le bitcoin pouvait valoir 100 000 dollars US d’ici la fin de 2018. Évidemment, personne n’est en mesure de prévoir une chose pareille. Ce sont en grande partie les hormones qui guident en ce moment le cours des cryptomonnaies et des titres des entreprises qui y sont associées. Qui peut prévoir la sécrétion collective de dopamine et de sérotonine? De telles prévisions n’ont pour résultats que de garder les adeptes sur leur high, la poussée actuelle se maintiendra aussi longtemps que persistera la conviction que les cryptomonnaies continueront de prendre de la valeur.
Ce n’est pas ça une bulle? Y a-t-il encore des sceptiques pour en douter ?
Il ne faut pas avoir peur d’en parler. Moi, cette bulle, je l’accueille avec sérénité. Avec nostalgie même, elle me rappelle mes belles années des Beastie Boys et de Linkin Park. Aussi, l’inévitable dégonflement pourrait donner lieu à de belles occasions de placement en déclenchant la correction tant attendue du marché boursier. Ça ferait du bien à tous ceux qui, comme moi, ont plus de liquidité qu’il en faut dans leur portefeuille et qui boudent le bitcoin.
Surtout, il y a quelque chose de pédagogique dans une bulle. Avec elle grandit la croyance dans un ordre économique nouveau, régi par des règles nouvelles, comme en 2000. Naissent alors des fractures générationnelles, les jeunes trouvant les vieux dépassés, incapables qu’ils sont de comprendre les nouvelles dynamiques de marché. Les vieux jugent quant à eux les jeunes bien imprudents, quoiqu’il y en a tout de même pour les suivre, pour se donner un traitement de jouvence.
Et puis tout ça finit par éclater, dans un rappel douloureux des lois économiques immuables. Qu’il s’agisse de «bitcoin» ou de «binerie.com», rien ne peut monter indéfiniment sur du vent.
De tels événements nous enseignent que l’excès de confiance est un péché en placement, tout comme la recherche du gain facile et rapide. Ils nous rappellent enfin qu’investir ressemble plus à des soirées passées à la bibliothèque qu’à la discothèque. Ce n’est pas très excitant.
Et pour ça, l’éclatement d’une bulle est fantastique.
Et si c’est comme l’Internet et la frénésie des «.com» de la fin des années 1990, le blockchain et les cryptonnaies ne seront pas emportés. Au contraire, ils pourraient changer nos vies. Cette partie de l’histoire, c’est vrai que les vieux ont plus de mal à la comprendre.
J’ai retrouvé ce magazine récemment en faisant du ménage. Il a été publié en 2001, quelques mois après l’éclatement de la bulle Internet. Le message est éloquent.