L’article qui pourrait faire la différence
25 novembre 2006
Michèle Boisvert, La Presse
Ça n’arrive pas souvent qu’un article, un seul, d’un projet de loi qui en compte 147 risque d’avoir autant d’impact.
C’est le cas de l’article 43 du projet de loi sur la gouvernance des sociétés d’État, déposé il y a une dizaine de jours par le ministre des Finances, Michel Audet.
Cet article dit que, d’ici cinq ans, les conseils d’administration de ces sociétés devront être constitués à parts égales de femmes et d’hommes. C’est majeur comme projet de réforme.
Cela envoie un signal clair quant à la nécessité de faire une place aux femmes dans des enceintes du pouvoir, où elles sont encore trop peu nombreuses.
Les sociétés visées ne sont pas les moindres. Il s’agit d’Hydro-Québec, d’Investissement Québec, de la Société de l’assurance automobile, de la Société des alcools, de Loto-Québec, de la SGF et de la Caisse de dépôt et placement.
Si on exclut la Caisse de dépôt et placement, dont l’actif est hors de proportion, ces sociétés représentent un actif de 70 milliards et emploient 40 000 personnes.
Une fois adopté, ce qu’on prévoit d’ici la fin de l’année, l’article 43 propulsera le Québec à l’avant-garde pour ce qui est de la place des femmes dans les conseils d’administration des sociétés d’État. Il n’y a que la Norvège qui nous devance en la matière.
Là-bas, une loi exige que l’ensemble des conseils d’administration des sociétés, qu’elles soient du secteur public ou du secteur privé, soient constitués d’au moins 40 % de femmes.
On peut, avec raison, être réticent à l’idée qu’un gouvernement impose des quotas de ce genre. Dans un monde idéal, il serait préférable que la parité au sein des conseils d’administration s’atteigne d’elle-même.
On peut, avec raison, être réticent à l’idée qu’un gouvernement impose des quotas de ce genre. Dans un monde idéal, il serait préférable que la parité au sein des conseils d’administration s’atteigne d’elle-même.
Mais, ne nous racontons pas d’histoire. Compte tenu de la lenteur avec laquelle les entreprises intègrent les femmes à leur conseil, il aurait fallu attendre longtemps, trop longtemps. Voilà pourquoi l’article 43 était nécessaire.
Non seulement cette mesure assurera la parité aux conseils des sociétés d’État, mais elle exercera une pression certaine sur le secteur privé pour qu’il emboîte le pas.
Cette mesure aura un effet d’entraînement certain puisque les femmes feront dorénavant partie du réseau des administrateurs de sociétés, réseau actuellement composé essentiellement d’hommes, le fameux old boys’ network.
Les mauvaises langues diront que, pour honorer cet engagement, les entreprises d’État devront faire un compromis sur la compétence des candidates éventuelles. Faux, archifaux.
Les femmes compétentes sont loin d’être une denrée rare. Il y a même un bottin qui en témoigne. Produit par l’organisme Women in the Lead\Femmes de Tête, il répertorie plus de 600 canadiennes aptes à siéger à des conseils d’administration.
De ce nombre, 165 sont des Québécoises. Ces femmes ne sont pas là pour leurs beaux yeux. Avant de se retrouver dans ce bottin, elles doivent répondre à une série de critères très serrés.
Voilà pour la compétence des candidates. Par ailleurs, des études poussent le débat un cran plus loin. C’est le cas notamment des travaux de Réal Labelle et Claude Francoeur, respectivement professeur titulaire et professeur adjoint à la chaire de gouvernance et juricomptabilité de HEC Montréal.
Les résultats de cette étude rigoureuse démontrent que les entreprises qui comptent un nombre significatif de femmes à leur conseil réussissent aussi bien que les autres.
Lorsqu’il s’agit d’entreprises plus complexes, la présence d’administratrices devient alors un avantage. De l’avis des deux chercheurs montréalais, la diversité des genres apporte une pluralité de points de vue, suscitant ainsi plus de discussions. Ces échanges entraînent généralement une meilleure prise de décision.
Une autre étude, cette fois de la Richard Ivey School of Business de l’Université Western Ontario, abonde dans le même sens, tout en apportant certaines précisions intéressantes. Selon les auteurs, pour que l’apport des femmes à un conseil d’administration fasse une différence, il faut qu’elles soient en nombre significatif.
Une seule femme dans un conseil ne change pas grand-chose. C’est souvent la femme de service, celle qu’une entreprise affiche pour se donner bonne conscience, sans pour autant porter beaucoup d’attention à ce qu’elle propose.
Deux femmes à un conseil est certes une nette amélioration, mais certains hommes ont tendance à associer ce tandem à une conspiration féminine. Le chiffre magique serait trois. À partir de ce nombre, conclut l’étude, les femmes ne sont plus une curiosité. Elles font partie du groupe à part entière et leur présence améliore la gouvernance et la performance du conseil.
Avec l’article 43, le ministre Audet a soulevé beaucoup d’espoir et d’enthousiasme chez les femmes. Il reste à s’assurer que la concrétisation de cette audacieuse mesure soit à la hauteur des attentes suscitées.