Le MÉDAC à la BN
8 mars 2007
Stéphanie Cousineau, La Presse
Faut-il encore écrire des articles sur la place des femmes en affaires le 8 mars?
La question divise les femmes en deux camps bien polarisés. Il y a celles qui ne ratent jamais cette occasion de souligner à quel point les femmes sont sous-représentées dans les hautes directions et les conseils d’administration.
Et il y a celles qui ne veulent plus en parler. Oui, la situation reste pathétique.
Les femmes ne représentent que 11,2 % des administrateurs des entreprises du Financial Post 500, selon la dernière compilation de Catalyst Canada. Mais doit-on s’afficher comme membre du ghetto, plutôt que de discuter business?
Après en avoir débattu avec des collègues, hier, j’avais choisi de passer un tour. Pas envie de réécrire la même chronique qu’en 2005, qu’en 2004, qu’en 2003… J’ai sauté dans un taxi pour aller à l’assemblée des actionnaires de la Banque Nationale.
En 15 minutes, j’ai changé d’idée. Yves Michaud présentait les six propositions du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Les habitués de cette assemblée connaissent bien ce one man show qui déride et exaspère tout à la fois. Malgré tout, Yves Michaud a provoqué un débat qu’on croyait impensable en 2007.
Que réclamait la proposition numéro 4? Que le conseil d’administration de la Nationale soit composé d’un tiers de femmes, au minimum, d’ici trois ans. Comme il y a trois femmes au conseil de la Nationale, qui représentent 20 % des 15 sièges, cela signifierait l’embauche de deux autres femmes.
Gros contrat! Heureusement que l’entreprise aurait 36 longs mois pour le réaliser!
La direction de la Banque, qui s’était pourtant ralliée à l’une des propositions du MÉDAC, a malgré tout recommandé à ses actionnaires de voter contre. Pourquoi? « Il importe avant tout de compter parmi les administrateurs de la Banque les personnes les mieux qualifiées et de s’appuyer sur un conseil d’administration capable d’assumer pleinement son rôle de surveillance de la gestion des affaires de la Banque », écrit la direction.
Dans un langage exempt de charabia, cela peut vouloir dire deux choses. Un : on ne pense pas qu’il existe d’autres femmes compétentes et disponibles sur le marché. Deux : il y en a peut-être, mais on ne s’est pas donné la peine d’en trouver, parce que, dans le fond, on s’en fiche. À vous de choisir.
Pour se justifier encore, la direction de la banque ajoute ceci : « Le conseil (de la Nationale) se positionne dans la zone médiane de son marché de référence ». Traduction : on ne fait pas pire que les autres banques canadiennes, dont les conseils sont aussi des boys’ club.
On peut concevoir qu’une entreprise ne veuille pas être ligotée par la contrainte d’un conseil composé pour moitié d’hommes et de femmes. Mais un seuil de 33 % donne toute la latitude voulue.
Les candidates ne manquent pas
Surtout que les candidates ne manquent pas. Il suffit de jeter un coup d’oeil rapide au répertoire de Femmes de tête/Women in the Lead. On y recense plus de 650 noms de femmes d’affaires et de dirigeantes du Canada qui ont les compétences requises pour siéger à des conseils, notamment la capacité de comprendre les états financiers et d’y jeter un oeil critique.
Évidemment, toutes n’ont pas la stature pour siéger au conseil du sixième employeur du Québec. Mais passé les vedettes habituelles comme Jacynthe Côté (Alcan), Christiane Germain (Groupe Germain), Germaine Gibara (Avvio Management) et Monique Leroux (Mouvement des caisses Desjardins), il reste une foule de femmes qualifiées mais plus méconnues : Madeleine Paquin (Logistec), Christiane Bergevin (SNC-Lavalin), Monique Mercier (Emergis), pour n’en nommer que trois.
Le répertoire est divisé par industrie, par province, par langue parlée. Encore trop compliqué? Il suffit de passer un coup de fil à Andrée Corriveau, présidente du conseil de l’Association des femmes en finance du Québec, la section québécoise de la Financial Women’s Association de New York, qui compte 225 membres archi-qualifiés.
« Si les femmes ne représentaient plus que 20 % de la clientèle de la Nationale, j’aimerais bien connaître la réaction de la Banque », ironise Andrée Corriveau.
À l’inverse, Fernand Daoust, actionnaire de la Nationale et administrateur du MÉDAC, voit dans la présence accrue d’administratrices une occasion pour la Nationale de se démarquer. « Vous pourriez voler ou attirer pas mal de clientes si vous aviez, à l’égard des femmes, des prises de position qui soient un petit peu plus avancées », a dit l’ancien président de la Fédération des travailleurs du Québec.
Mais les interventions des deux vieux compères du MÉDAC — aucune femme n’a pris le micro, soit dit en passant — ont laissé les actionnaires de glace. La proposition a presque été rejetée à l’unanimité (95 % des votes contre).
Rien pour défoncer le fameux « plafond de verre ». Bref, vous n’avez pas fini de lire des chroniques sur les trop rares administratrices.