[De gauche à droite] Le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare en compagnie du président exécutif du C.A., Pierre Beaudoin. Photo : Reuters/Christinne Muschi

Pourquoi ne pas faire un vrai débat sur la rémunération des PDG?

2017-04-07
Gérald Fillion, Radio-Canada

Beaucoup de gens demandent à Pierre Beaudoin de quitter son poste de président exécutif du conseil de Bombardier affirmant qu’il est là, le vrai scandale de la rémunération qui fait rager les Québécois depuis une semaine.

Limiter l’enjeu à Pierre Beaudoin nous fait toutefois rater l’occasion d’un vrai débat sur la rémunération des hauts dirigeants d’entreprises. Il m’apparaît essentiel de ramener également le projecteur sur Alain Bellemare, dont la rémunération totale en 2016 est évaluée à 12,7 millions de dollars canadiens.

Alain Bellemare a maintenant sa place parmi les 10 ou 15 PDG les mieux payés au Canada. Il gagne plus que le PDG d’Airbus, mais moins que celui de Boeing, dont les revenus sont, il faut le dire, six fois plus élevés que Bombardier. La rémunération totale de 2016 pour le grand chef de Bombardier représente 257 fois le salaire moyen industriel au Canada et 157 fois le salaire moyen des employés de Bombardier, qui serait de 81 000 $ par année, selon le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).

La rémunération d’Alain Bellemare est plus élevée également que la moyenne des 100 PDG les mieux payés du pays, selon le Centre canadien de politiques alternatives, moyenne à 193 fois le salaire industriel moyen calculé par Statistique Canada.

La question est simple : à 157 fois, à 193 fois ou à 257 fois le salaire moyen, un PDG est-il trop payé ou justement rémunéré? Est-il normal de gagner en quelques heures le salaire moyen annuel des travailleurs au Canada? Qui mérite 13 millions de dollars pour faire son travail, peu importe les résultats? Pourquoi 13 millions, pourquoi pas 1 ou 2 millions?

Attirer les « talents »?

Il est souvent répété dans les milieux d’affaires qu’il faut payer cher pour obtenir les meilleurs dirigeants et les retenir. Cet argument est faible. Les études tendent à démontrer que le rendement des entreprises n’est pas nécessairement meilleur avec un patron qui coûte plus cher. Répéter sans cesse l’argument de la rétention pour justifier de fortes rémunérations et d’importantes augmentations sert d’autres intérêts dans la réalité. Et, comme l’expliquait un expert sur nos ondes lundi soir, il n’y a pas de marché des dirigeants, comme il y a un marché des joueurs autonomes au hockey.

Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse et le Canada sont les pays dans le monde où la rémunération des dirigeants est la plus élevée. Le Monde a répertorié la rémunération des 40 dirigeants les mieux payés de chaque pays. En 2015, la rémunération moyenne de ces patrons était de 13,1 millions d’euros aux États-Unis, de 7,7 millions d’euros au Royaume-Uni, de 7,1 millions d’euros en Suisse et de 6,1 millions d’euros au Canada.

La France n’hésite pas à tenir ce genre de débat, ce qui a conduit récemment à l’adoption par le gouvernement français du vote contraignant des actionnaires sur les plans des rémunérations des entreprises. Paris a décidé d’aller de l’avant avec une telle règle après le scandale qu’a provoqué l’entreprise Renault en ignorant un vote négatif des actionnaires sur la rémunération du PDG de la société Carlos Goshn.

Le faible lien rendement-rémunération

Dans une étude publiée en France, on questionne le lien entre la rémunération et le rendement d’une entreprise. Frédéric Teulon, directeur de la recherche à l’Institut de préparation à l’administration et à la gestion de Paris, écrit qu’entre « 2007 et 2012, la rémunération des dirigeants du CAC 40 a globalement progressé (du fait d’une distribution plus importante de stock-options qui a plus que compensé la baisse des bonus), alors que dans le même temps les résultats nets des entreprises ont chuté de 30 % ».

Autrement dit, un dirigeant qui a bien fait dans le passé et qui a été récompensé financièrement va continuer d’être bien payé par la suite, peu importe les résultats de l’entreprise. De plus, on voit souvent des patrons être congédiés avec une grosse prime en cadeau. On comprend bien que la rémunération n’a pas tendance à baisser parce que les résultats sont mauvais.

« Le caractère ’’hors norme’’ des rémunérations des grands patrons, écrit Frédéric Teulon, est de nature à créer dans l’opinion publique un soupçon d’enrichissement sans cause et risque de susciter à terme de vives réactions dans un pays confronté à une crise sociale, au déclassement des classes moyennes, à la précarité de l’emploi et à la persistance d’un chômage de masse. »

Il propose ainsi une « moralisation de la rémunération par sa simplification, la fixation de plafonds et la limitation des éléments de rémunération différée. Il faut éviter les formes de rémunération qui en apparence sont basées sur la performance, mais qui ne sont en réalité que des techniques d’extraction de la rente au profit des managers. »

Il termine en disant qu’il est « souhaitable que la rémunération des grands patrons soit incitative sans être abusive (c.-à-d. déconnectée des performances des entreprises, reposant sur des privilèges ou fragilisant la cohésion sociale du pays). »

L’OCDE évoque régulièrement les risques que font peser les inégalités sur l’économie mondiale, des inégalités qui sont grandissantes dans les pays avancés. Il y a 30 ans, les grands PDG gagnaient 40 ou 50 fois le salaire moyen. Depuis, l’écart n’a fait que grandir, alimentant les inégalités, alimentant la colère, l’incompréhension et les extrêmes.

Dans l’intérêt de faire croître l’économie et d’aider à la cohésion sociale et au rétablissement de la confiance des citoyens, il me semble qu’il est urgent d’en parler, non?

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