Un concours de vente de Desjardins fait tiquer

23 janvier 2017
Christine Bouthillier, Conseiller.ca

Alors que Desjardins Assurances annonçait en avril 2016 qu’elle compte mettre fin aux concours de vente avec un voyage à gagner, elle en lançait un en fin d’année… avec des prix en argent à la clef.

Le Sprint REER a débuté le 1er décembre 2016 et se poursuivra jusqu’au 31 mars prochain. Il récompensera les 50 conseillers et les cinq recrues (engagées après le 1er janvier 2013 et sans expérience préalable) ayant obtenu les meilleurs volumes de ventes (minimalement 300 000 $ pour les conseillers et 150 000 $ pour les recrues) pendant cette période.

Le représentant le plus performant recevra 3 000 $, alors que la recrue qui arrivera au premier rang se verra décerner 1 000 $. Le concours vise les conseillers partenaires du réseau SFL/DSFRI, qui doivent être sous contrat avec Desjardins Sécurité financière au moment de la remise du prix.

Seuls certains produits sont admissibles au concours : fonds de placement garanti DSF (DSF FPG), placements à terme liés aux marchés (le nouveau produit Garantie Avantage, dont Desjardins fait abondamment la promotion dans le document du concours remis aux conseillers), placements à terme et rentes.

« C’est très dangereux »

Outre Desjardins, plusieurs assureurs, dont Great-West, RBC et BMO, ont annoncé en 2016 leur intention de mettre fin aux concours de vente avec un voyage à la clef. La plupart d’entre eux ont indiqué suivre les recommandations de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) pour justifier leur décision.

Cette dernière mentionnait notamment qu’il pouvait y avoir apparence de conflits d’intérêts et suggérait aux assureurs d’apporter des changements aux concours. C’est d’ailleurs ce que de nombreux acteurs de l’industrie leur reprochaient, craignant qu’ils n’influencent le conseiller lorsqu’il recommande un produit.

« Lorsque les concours sont liés à la vente de certains produits, c’est très dangereux, lance justement Michel Mailloux, expert en conformité financière et éthicien, en entrevue avec Conseiller. Il y a peut-être des produits similaires qui coûtent moins cher à l’extérieur. […] Il y a un risque qu’on ne tienne pas compte des besoins des clients. »

« On vient d’introduire dans l’acte de vente une motivation qui n’a rien à voir avec le client, ajoute Normand Caron, responsable de la formation au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Cela crée une pression qui peut amener le conseiller à tourner les coins ronds et recommander des produits qui ne conviennent pas au client ou dont il ne veut pas. On l’a trop vu dans le passé. »

Il souligne que ces concours ont d’ailleurs été abolis pour ces raisons il y a près de 20 ans dans le domaine des valeurs mobilières.

Pour Michel Mailloux comme Normand Caron, les concours offrant des prix en argent sont du même acabit que ceux qui décernent des voyages.

« Si on offrait une reconnaissance moindre, un cadeau de 50 $, par exemple, ça ne serait pas la même chose. Dans la mesure où l’on donne 3 000 $, la valeur est la même qu’un voyage », souligne l’éthicien.

De plus, ce type de concours pourrait inciter au gonflement des opérations d’un compte (churning), qui consiste à déplacer les avoirs d’un client d’un produit à un autre sans réel besoin, indique M. Mailloux. Une manœuvre condamnée par la loi.

De son côté, Daniel Guillemette estime que le concours Sprint REER est même pire que ceux qui offrent des voyages, car il fait la promotion de produits spécifiques, plus spécialement Garantie Avantage.

« Considérant la prise de position claire du régulateur qui y voit un risque de manque d’objectivité des conseillers, les assureurs et institutions qui continueront de faire la promotion de leurs produits au moyen de concours ou de campagnes de vente seront les plus grands responsables de l’intensification de l’encadrement que les conseillers devront subir », juge le président de Diversico, invitant les représentants autonomes au boycott de ces concours.

Quant aux conseillers employés, « ce sera malheureusement plus difficile pour eux, puisqu’ils pourraient mettre leur emploi en péril », conclut-il.

En effet, il n’est pas toujours possible de demander à être exclu d’un concours. Dans le cas de Sprint REER, les conseillers qui en font la demande peuvent se retirer de la course.

Nocifs par nature, les concours?

Cependant, Michel Mailloux ne s’oppose pas aux concours en tant que tels.

« Ce n’est pas la nature d’un concours qui est mauvaise. Le problème, c’est la gestion derrière », avance-t-il.

Par exemple, une compétition lors de la période des REER qui ne ciblerait aucun produit particulier, mais ne ferait que récompenser le conseiller qui a déniché le plus de clients et de dépôts serait acceptable à ses yeux.

Normand Caron est d’un autre avis.

« Nous sommes contre toute forme de récompense en ce domaine. […] Il ne faut pas inciter le représentant à briser la relation de confiance qu’il a avec son client. Ce n’est pas une question de montant, mais plutôt une question de principe », souligne-t-il.

Il propose plutôt de tenir des galas de reconnaissance pour souligner la bonne performance des employés au lieu d’utiliser des incitatifs monétaires.

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