Les autogestionnaires isolés

2014-11-17
Normand Caron

Il fait partie d’une catégorie particulière de capitaliens : les autogestionnaires de leur patrimoine financier. Ils sont entièrement responsables du choix des titres et produits qui composent leur portefeuille. Plusieurs par contre, prennent conseil auprès de professionnels de confiance, mais au final, ils veulent avoir le dernier mot. C’est dans ce groupe d’investisseurs que se cachent les « loups solitaires ». C’est un profil d’individu difficile à identifier et à décrire, car peu bavard. Quand il réalise de bons coups et qu’il fait augmenter la valeur de son portefeuille, il ne pavoise pas. Il se tait, surtout devant des parents ou amis trop curieux. Il conserve le même train de vie pour ne pas attirer l’attention. Il calcule son patrimoine accumulé en fonction du nombre d’années sabbatiques qu’il pourrait éventuellement se permettre.

Par contre, lorsqu’il connaît des ratées, il encaisse le coup, assumant discrètement et avec modestie les pertes et moins-values de ses titres. Seuls son comptable et les agents du fisc connaissent la profondeur de ses poches. Et son courtier aussi, bien sûr! Toutefois, si ce dernier se fait trop insistant à « fortement recommander » des titres en stock, il décline poliment l’offre et se réfugie sur les plateformes virtuelles et anonymes des « courtiers à escompte ». Il préfère compter sur ses propres analyses et sur ses intuitions, plutôt que faire confiance aveuglément aux représentants des sociétés de courtage en valeurs mobilières.

Pendant mes quarante années de « formateur économique[1] », sur les milliers de personnes qui ont assisté à mes formations, j’ai pu identifier tout au plus une centaine de « capitaliens solitaires ». Je les ai détectés la plupart du temps par leurs questions extrêmement pointues, du genre : « Comment expliquer qu’en 2008, un portefeuille d’obligations négociables de gouvernements et sociétés étrangères a pu bondir de 22 %, alors que toutes les bourses du monde ont planté de 40 % ? » Question fort pertinente pour eux, mais qui a rendu tous les autres participants un peu pantois, le formateur inclus, hésitant à perdre l’attention de son groupe en s’aventurant sur le terrain technique et glissant de l’évaluation des titres financiers!

Par contre, ils en mènent large sur les marchés financiers. Ils tiennent en haleine, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, les courtiers et conseillers financiers des sociétés de courtage de détail en valeurs mobilières qui ont des activités au Québec. Certains d’entre eux sont d’ailleurs étiquetés péjorativement « boursicoteurs », qualificatif fortement dévalorisé par certains observateurs de l’industrie financière.

Une « Enquête sur le courtage de détail en valeurs mobilières au Québec[2] », réalisée par l’Institut de la statistique du Québec et publiée trimestriellement, permet de connaître la valeur de l’actif recueilli par les courtiers en valeurs mobilières auprès d’investisseurs particuliers[3]. Elle porte sur le courtage de détail des 12 entreprises actives au Québec (tant de plein exercice, à escompte ou en ligne). Le tableau suivant, construit à partir des données de cet institut, nous permet de prendre conscience de l’importance des véhicules de placement choisis par certains capitaliens pour faire fructifier leurs économies et d’apprécier, sur certaines périodes de temps (ici cinq ans), l’évolution qu’ont connue les différents types de produits financiers.

ACTIF RECUEILLI AU QUÉBEC PAR LES SOCIÉTÉS DE COURTAGE EN VALEURS MOBILIÈRES (2008-2013)

(… en M$, au 31 décembre de chaque année) 2008 2013 Variation %
Encaisse et liquidités 14 045,7 14 429,4 383,7 2,7 %
Dépôts et CPG 9 715,6 9 839,8 124,2 1,3 %
Fonds communs et distincts 23 612,2 54 164,7 30 552,5 129,4 %
Obligations 32 106,4 30 994,0 (1 112,4) -3,5 %
Actions 51 474,3 98 621,7 47 147,4 91,6 %
Autres 2 507,2 608,6 (1 898,6) -75,7 %
Total de l’actif sous gestion 133 461,4 208 658,2 75 196,8 56,3 %

De ce tableau, on peut dégager les tendances suivantes :

  • Globalement, les capitaliens « autogestionnaires » qui font affaire avec les sociétés de courtage se sont enrichis de 75,2 milliards $ depuis le 1e janvier 2009, soit une moyenne linéaire de 15 milliards $ par année. L’actif total qu’ils y détenaient au 31 décembre 2013 avait dépassé les 208 milliards $, un sommet historique!
  • Par ménage québécois, cela représente un actif moyen de 61 190 $. Per capita, on parle d’une moyenne de 25 760 $.
  • Ce sont leurs « titres de participation » (actions ordinaires et privilégiées, fiducies de revenu et parts de fonds d’investissement) qui ont propulsé vers le haut leur portefeuille, connaissant une croissance de 91,6 %. On peut supposer que ces titres ont aussi eu le même effet sur les parts des fonds communs de placement et fonds distincts qui ont plus que doublé leur actif au cours de cette période (+129,4 %).
  • Les titres à revenu fixe (CPG, obligations négociables, obligations d’épargne, bons du trésor…) ont fait du surplace, maintenant timidement la même valeur qu’au début de la période. Les taux d’intérêt faiblards offerts sur ces produits depuis 2009 expliquent le peu d’enthousiasme des investisseurs à leur égard.

Il faudra garder en mémoire, lorsque viendra le temps de tracer le portrait d’ensemble des actifs financiers des capitaliens québécois, de retirer de l’actif total de 208 milliards, les actifs détenus dans les fonds communs de placement[4]. On parle alors d’une valeur d’actifs de près de 155 milliards, soit 6 milliards de plus que tous les fonds communs de placements réunis.

À la semaine prochaine pour vous présenter un premier portrait d’ensemble de l’épargne personnelle.


[1] Les ACEF (1968), l’ICEA (1972), la FTQ (1978), le Fonds de solidarité FTQ (1983), le FSER du Sénégal (1997) et aujourd’hui le MÉDAC (2006-2014)

[2] L’Institut de la statistique du Québec : http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/secteur-financier/marche/courtage/index.html

[3] Compilation selon l’adresse des clients résidant au Québec ou selon le total des actifs relatifs aux clients desservis par des points de vente situés au Québec.

[4] Mes conseillers techniques font l’hypothèse qu’ils sont déjà intégrés dans les statistiques publiées par l’Institut des fonds d’investissement que j’ai recensées dans le carnet n° 3 (celui du capitalien « mutualisé ») et qui évaluait l’actif des fonds communs de placement à 148,7 milliards.

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